Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/525

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sans doute montré plus de penchant pour ces grandes entreprises. A peine eut-il battu les Daces et mérité par ses victoires en Asie le surnom de Parthique, qu’il voulut s’avancer jusqu’à l’embouchure commune de l’Euphrate et du Tigre. Cet empereur qui faisait sculpter des birèmes sur sa colonne sans soupçonner qu’il allait ainsi fournir un nouveau thème à des discussions assoupies, se borna, — qui l’eût cru ? — à contempler l’océan du rivage. Un vaisseau cependant était là, se balançant doucement sur ses ancres, n’attendant qu’un souffle favorable pour déployer ses voiles et se diriger vers les Indes. « J’aurais volontiers entrepris moi-même ce voyage, dit l’empereur, si j’étais dans un âge moins avancé. » Christophe Colomb comptait plus de soixante-six ans au moment où il partit pour sa dernière expédition ; Trajan n’en avait que soixante-trois lorsqu’il recula devant la traversée du Golfe-Persique. L’excuse invoquée par l’empereur me paraît cependant valable. Quant au successeur que Trajan se donna un peu à regret, s’il est permis de lui adresser quelque reproche, ce n’est pas celui d’avoir été un empereur sédentaire. Adrien passa presque toute entière sa vie sur les routes : il se croyait tenu d’imiter le soleil et de réchauffer successivement de ses rayons les diverses parties d’un empire dont la superficie comprenait près de six fois et demie la surface de la France.

Le souverain qui avait visité l’Angleterre, la Sicile et l’Afrique. affronté les neiges de la Calédonie et les plaines embrasées de la Haute-Egypte, laissa son héritage à un sénateur de cinquante ans, Antonin le Pieux. Antonin, durant vingt-trois années de règne, ne fit d’autre voyage que celui de Rome à Lanuvie. Le monde ne s’en trouva pas plus mal ; l’hydrographie y perdit beaucoup. Adrien n’avait pas la chasteté de Claude, « le seul des quinze premiers Césars dont les amours, a dit Gibbon, n’aient pas fait rougir la nature ; » il partageait du moins avec le petit-neveu d’Auguste le désir d’étendre le domaine d’une science qu’on n’a jamais cultivée sans en retirer de grands profits. En même temps qu’il reprenait les sages traditions d’Auguste et songeait à resserrer l’empire dans ses limites naturelles, Adrien se proposait de chercher d’amples compensations aux agrandissemens douteux qu’il sacrifiait, dans le nouvel essor imprimé au commerce. Il faisait reculer pour la première fois le dieu Terme ; il vouait, en revanche, un culte particulier à Mercure. On ne lui plaisait pas moins en rédigeant des routiers et des portulans qu’en soutenant quelque thèse ingénieuse, ou en alignant de jolis petits vers. C’est à cette heureuse tendance que nous devons la célèbre lettre qui lui fut adressée par Arrien, alors gouverneur de la Cappadoce. Cette lettre contient, sous le nom