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Hegel, qui démontre aux hommes, par des moyens efficaces, la vanité des choses de ce monde est un hussard, le sabre au poing, qui pille et qui massacre. On se répand en malédictions contre lui, après quoi la paix se rétablit, les champs reverdissent et le bavardage se tait devant les sérieuses répétitions de l’histoire. »

Tout cela peut être vrai ; mais il est difficile de recommander aux peuples un fléau en le leur présentant comme une épreuve salutaire où ils se nettoieront de leurs souillures comme l’or se purifie dans le creuset. Les peuples ne se rendent guère à ces raisons, et ceux qui les dérangent dans leur repos et mettent en péril leurs plus chers intérêts assument une redoutable responsabilité. Pour qu’une guerre soif agréée par eux, il faut leur prouver qu’elle est nécessaire et qu’elle est juste. Aussi les conquérans se sont-ils toujours appliqués à chercher d’adroits déguisemens pour autoriser leurs injustices. Le grand Frédéric lui-même tenait à démontrer à l’Europe qu’en prenant la Silésie, il ne faisait que rentrer dans son bien. Il chargeait le comte de Podewils, son ministre, du soin de cette démonstration. Le bon Podewils, qui avait des candeurs, jugeait à part lui que les droits de la Prusse étaient périmés, que l’Autriche pouvait invoquer des traités solennels par lesquels la maison de Brandebourg avait renoncé à ses prétentions. Frédéric ne lui laissait ni cesse ni repos ; il lui écrivait : « L’article de droit est l’affaire des ministres, c’est la vôtre ; il est temps d’y travailler en secret, car les ordres aux troupes sont donnés. » Mais si les conquérans d’autrefois cherchaient déjà à sauver les apparences, c’est bien autre chose dans ce temps de service obligatoire, quand les armées englobent toute la jeunesse d’une nation, que tout le monde est soldat, qu’une mobilisation ne peut être ordonnée sans porter le trouble dans toutes les familles comme dans tous les ateliers.

Les peuples n’entendent plus se battre pour le caprice d’un homme, pour un intérêt dynastique, pour l’ambition d’un ministre. Il importe de leur persuader qu’ils ont un intérêt au procès ; ils veulent savoir de quoi il s’agit, ils demandent des explications, il faut les leur donner ; c’est à cela que servent les journaux officiels ou officieux. Une armée qui est la nation en armes a besoin pour se bien battre que l’enthousiasme ou la colère allume son courage ; elle a besoin d’être convaincue que le voisin dont elle envahit le territoire méditait de noirs attentats, qu’elle accomplit une œuvre de justice, qu’elle se défend quand elle attaque. Frédéric écrivait à Podewils : « Prenez du meilleur orviétan et de bon or pour dorer vos pilules. » C’est aujourd’hui surtout que les pilules demandent à être dorées, et c’est là que se déploie tout le génie des hommes d’état. Nous en avons vu d’étranges exemples dans ces vingt dernières années.

S’il est aisé de persuader à un peuple qu’en envahissant le bien