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une à une, on verrait mieux encore combien il est difficile de les obtenir toutes dans la mesure convenable. Mais la démonstration est inutile pour qui a été appelé jamais à prendre une décision : on sait qu’il y faut ménager des intérêts variés et contradictoires et qu’on ne saurait se flatter d’arriver à la perfection.

C’est ainsi que, dans la fabrication des armes de guerre, on a été amené à l’adoption d’un modèle dont le fusil Gras, actuellement en service chez nous, peut être cité comme le type. Sa portée est de deux kilomètres ; par conséquent, sa balle peut aller jusqu’où peut aller le regard du tireur. L’artillerie, qui a un champ de tir plus étendu, est obligée de recourir à tout un attirail d’instrumens d’optique, tels que télémètres et longues-vues, dont l’infanterie ne saurait se charger. Aux distances extrêmes du tir, la balle du fusil Gras est encore meurtrière. Il n’était pas rare autrefois d’être atteint par des balles mortes. On cite tel général qui, après une bataille, en trouvait dans ses vêtemens ou dans sa perruque. Au commencement de ce siècle même, il arrivait qu’elles ne fissent pas de blessures, mais de simples contusions. Le moindre obstacle amortissait le choc : il suffisait des buffleteries pour arrêter la trajectoire. On n’en est plus quitte à si bon marché avec les projectiles à tête pointue dont on se sert actuellement et qui, animés d’un mouvement en hélice, entrent dans les chairs comme un tire-bouchon dans du liège.

La précision du tir est assez grande pour que la moyenne des tireurs loge la moitié de ses balles, à la distance d’un kilomètre, dans un rectangle ayant environ 2m, 30 de hauteur sur 1m, 90 de largeur (Règlement du 4 novembre 1882) ; pour un bon tireur, la surface qui recevrait 50 pour 100 des coups, à la même distance, ne serait que de 1m,20 sur 1m,70, ce qui est à peu près la dimension d’une fenêtre. En se plaçant à un kilomètre d’une maison et en considérant les dimensions qu’offrent ses fenêtres vues d’aussi loin, on reconnaîtra que c’est là une belle justesse. La tension de la trajectoire est très grande : la balle qui atteint le front d’un cavalier à une distance d’un kilomètre, atteint aux pieds un autre homme placé 30 mètres plus loin, même sans ricocher. Le même projectile peut frapper deux fantassins placés l’un à 400 mètres en avant du tireur, l’autre à 530.

Le fusil Gras pèse 4k, 200, sans baïonnette ; c’est, en somme, assez peu de chose par rapport au poids total de l’équipement du fantassin. Cette charge commodément placée serait insignifiante; mais, dans la mise en joue et le maniement de l’arme, elle ne laisse pas d’être sensible.

La longueur totale, qui est de 1m, 30, permet à la Louche du fusil de l’homme du second rang de dépasser sensiblement son chef de