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ce témoignage public qu’il n’y a point eu d’année que je ne lui aie représenté le danger auquel elle s’exposoit si elle attendoit les dernières extrémités ; qu’il étoit de sa prudence et de sa sagesse de sacrifier une partie de l’Espagne pour sauver l’autre, et qu’elle ne devoit pas perdre la France avec l’Espagne. »

Ni Pontchartrain, ni Chamillart, n’étaient des financiers ; mais on ne saurait adresser le même reproche à Desmarets, qui fut nommé contrôleur-général le 20 février 1708. Neveu de Colbert, il était entré de bonne heure dans les bureaux du contrôle-général et il était parvenu jeune encore au poste important d’intendant des finances. « Élevé et conduit par son oncle, il en avoit appris toutes les maximes et tout l’art du gouvernement des finances ; il en avoit pénétré parfaitement toutes les différentes parties, et, comme tout lui passoit par les mains, personne n’étoit instruit plus à fond que lui des manèges des financiers, du gain qu’ils avoient fait de son temps, et par ces connoissances de celui qu’ils pouvoient avoir fait depuis[1]. »

À la mort de Colbert, Desmarets avait été accusé d’avoir accepté des bénéfices irréguliers dans une opération monétaire récente qui avait pour objet une fabrication importante de petites pièces d’argent. Les passions et les haines qui s’agitaient contre la mémoire de son oncle l’avaient fait disgracier avec éclat. Obligé de donner sa démission et exilé dans sa terre de Maillebois, ce ne fut pas sans peine qu’il obtint de rentrer en grâce auprès du roi. Chamillart, dans les premiers temps de son ministère, fut autorisé à se servir de son expérience et de ses lumières pour diriger des recherches et des poursuites contre les traitans qu’il voulait assujettir à une taxe spéciale : avec l’appui des ducs de Chevreuse et de Beauvilliers, il obtint pour lui, en 1703, l’une des deux charges de directeurs des finances qui venaient d’être créées pour lui venir en aide : en 1708, quand, fatigué et malade, il se retira, il le désigna au roi pour son successeur.

Ce fut Louis XIV qui voulut prévenir Desmarets de sa nomination, « en lui expliquant lui-même l’état déplorable de ses finances, tant pour lui faire voir qu’il savoit tout, que pour lui épargner peut-être l’embarras de lui en rendre un compte exact, comme cela ne se pouvoit éviter à l’entrée d’une administration. Le roi ajouta que, les choses en cet état, il seroit très obligé à Desmarets s’il pouvoit trouver quelque remède et point du tout surpris si tout continuoit à aller de mal en pis ; ce qu’il assaisonna de toutes les grâces dont il avoit coutume de flatter ses nouveaux ministres[2]. »

  1. Mémoires de Saint-Simon, tome V, page 324.
  2. Ibid., page 113.