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Il est vrai, dira-t-on, la situation n’a rien d’aisé ni même de flatteur. Des fautes ont été commises par imprévoyance ou par inexpérience, ou par impatience. La vraie politique républicaine s’est vue trop souvent obligée de compter dans ces dernières années avec des alliés du radicalisme, qui l’ont dénaturée et compromise; mais, se hâte-t-on d’ajouter, tout est changé ou tout va changer. Le moment est venu d’en finir avec la politique de « condescendance » pour le radicalisme, de refaire un vrai gouvernement, M. le président du conseil l’a déclaré dans ses discours de Rouen, du Havre, et maintenant qu’il a pris la direction des affaires étrangères à la place de M. Challemel-Lacour, il a d’autant plus d’autorité pour réaliser son programme. Nous allons entrer dans l’ère de la république modérée. — Soit! M. le président du conseil a prononcé sans doute au Havre et à Rouen des discours qui ont eu quelque retentissement, qui ressemblaient à un programme de rupture avec les partis extrêmes. Il a probablement voulu préparer par des déclarations rassurantes son entrée aux affaires étrangères. Seulement il est permis de se demander ce qu’il y a de changé depuis que ces discours ont été prononcés, quelle a été la portée pratique de ces déclarations retentissantes. Par le fait, le ministère est resté ce qu’il était, ménageant des passions qu’il semble braver, osant à peine avouer qu’il voudrait mettre quelque adoucissement dans sa politique religieuse, patronnant un candidat semi-radical dans l’élection de Lodève, hésitant dans les affaires financières. Il a continué à parler dans un sens, à agir dans un autre sens, mettant une habileté équivoque à tromper tous les calculs, sans s’apercevoir qu’il perdait chaque jour en détail les avantages de la position qu’il avait paru prendre un moment. Si, au lendemain de ses discours de Rouen et du Havre, M. le président du conseil eût résolument conformé ses actes à son langage, nul doute qu’il n’eût été suivi par le pays. Il a laissé passer le temps, les occasions, et depuis deux mois il s’est positivement affaibli. Le gouvernement se retrouve aussi embarrassé que jamais devant cette affaire du Tonkin qui pèse sur l’opinion, qui depuis quelques jours a pris une évidente gravité.

Où en est-elle maintenant, en effet, cette singulière et triste affaire du Tonkin? Aux premiers momens de la session, M. le président du conseil avait pris, en vérité, une assez fière attitude vis à-vis de ceux qui l’interpellaient, et il s’était même fait une sorte de point d’honneur de déclarer qu’on n’avait pas encore besoin de nouveaux crédits. Il n’a pas tardé à se raviser et il a demandé ces crédits, dont la nécessité ne pouvait être douteuse. Une commission a été nommée avec une certaine solennité, et elle a délibéré mystérieusement depuis quelques jours; mais, tandis qu’on délibérait, les événemens ont marché. Ils n’ont pas précisément marché sur les bords du Fleuve-Rouge, où l’amiral Courbet, demeuré seul chargé du commandement