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se trouvèrent changées à l’égard de la Prusse. Le traité de Constantinople, rendu public par l’indiscrétion calculée de la Porte, avait été fort mal accueilli à Londres, tandis que les dispositions pacifiques de Léopold y avaient produit l’impression la plus favorable. Le cabinet de Saint-James fit aussitôt savoir à Hertzberg qu’il ne se croyait engagé désormais à une action commune que si cette action tendait au rétablissement du statu quo, qu’il entendait rester étranger à toute autre combinaison; qu’enfin, le meilleur moyen d’atteindre ce but était une suspension d’armes immédiate (2 avril). Ce revirement soudain de la politique anglaise menaçait fort de ruiner les projets de Hertzberg. Dans la crainte de se priver d’un allié puissant, il ne pouvait repousser purement et simplement la proposition anglaise, il résolut de l’appuyer, espérant secrètement que la Russie, par son refus, romprait les négociations.

Ce fut le 15 avril que Frédéric-Guillaume répondit à la lettre de Léopold. A en croire le roi de Prusse, il n’y avait guère d’autre moyen de maintenir l’équilibre en Europe que de faire la paix sur le pied du statu quo; cependant, ajoutait-il, il y avait un moyen encore préférable : ne pourrait-on trouver tels arrangemens, telles compensations qui satisfissent tous les états intéressés et servissent de base à une alliance durable? C’était là une première allusion à la cession de la Galicie. Hertzberg, d’ailleurs, jugeait inutile de dissimuler davantage et exposait enfin ce fameux plan d’échange de l’exécution duquel il faisait dépendre, depuis si longtemps, et sa gloire à venir et la puissance future de la Prusse. Léopold fit à cette lettre une réponse conciliante, mais évasive. Frédéric répondit à son tour, mais cette fois d’un ton beaucoup plus pressant. Il demandait la cessation immédiate des hostilités contre la Turquie et joignait à sa dépêche un mémorandum où étaient exposés les points principaux du traité à intervenir : la Turquie céderait les frontières du traité de Passarowitz à l’Autriche; celle-ci rendrait la Galicie à la Pologne, qui, à son tour, céderait à la Prusse Thorn, Dantzig et les trois woïvodies de Posen, Gnesen et Kalisch.

Ces conditions causèrent à Vienne une irritation facile à concevoir. Ou répondit cependant, mais cette fois encore sans prendre d’engagement. C’était aux Turcs vaincus, disait M. de Kaunitz, non aux Autrichiens vainqueurs, à cesser les hostilités; si l’on ne s’opposait pas, en principe, à ce que la Prusse s’agrandît, bien qu’elle n’eût pas eu à supporter le fardeau de la guerre, il fallait du moins que l’équilibre ne fût point rompu par cet agrandissement, et la perte de la Galicie n’était pas suffisamment compensée par l’acquisition des frontières du traité de Passarowitz. Cette réponse n’avait d’autre but que de retarder, du côté de la Prusse, l’ouverture des hostilités.