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dans le courant de la population commune. On peut voir dans plusieurs villes industrielles du nord de la grande république américaine des réunions, des cercles, des théâtres français; ils sont alimentés par les émigrés canadiens, qui transportent avec eux la patrie dans les contrées nouvelles où ils vont s’établir. Quoiqu’en plus grand nombre, les émigrés allemands agissent tout autrement. Comme le disait fort bien la Gazette de l’Allemagne du Nord, ils se laissent immédiatement façonner avec la facilité de la cire, et bientôt l’empreinte américaine est si nette chez eux qu’elle fait totalement oublier leur origine germanique.

Ainsi la France, ou plutôt la lace française, a de telles qualités coloniales que, même au second degré, même après avoir subi l’influence d’un premier milieu étranger, elle est encore capable de fonder des établissemens qui gardent une puissante, une irrésistible originalité. Je pourrais trouver une nouvelle preuve de ce que j’avance dans l’histoire d’un peuple qui possède encore un des plus beaux empires coloniaux du monde, la Hollande. Je dis : qui possède encore, parce qu’à l’heure présente, les Hollandais n’ont pas des colonies dans le sens strict et ancien de ce mot, c’est-à-dire des territoires peuplés par eux, où leur race se développe en toute liberté. Mais ils ont essayé plusieurs fois de fonder des colonies de cette espèce, et ils ont à peu près réussi au Cap de Bonne-Espérance et en Amérique dans la Nouvelle-Néerlande (état de New-York); là vivent des populations nombreuses, véritablement hollandaises, dont la Hollande a perdu par sa faute la direction politique, mais qui n’en restent pas moins pour telle ce que le Canada est pour nous. Seulement, si l’on va au fond des choses, on s’aperçoit bien vite que les vaillans pionniers qui, partis de la Hollande, se sont rendus dans le sud de l’Afrique, étaient des réfugiés de l’édit de Nantes, des Français, et que ce sont eux qui ont constitué, ainsi qu’on s’en est aperçu dans les complications récentes avec l’Angleterre, le noyau le plus tenace et le plus vaillant de la population boër.

Contester le génie colonisateur à un peuple qui le communique aux nations chez lesquelles il essaime les débris de ses révolutions et de ses discordes civiles est donc commettre une erreur historique grossière. Pour expliquer nos échecs coloniaux, ce n’est pas cette raison qu’on doit donner. Dès qu’on l’étudie avec attention, ce qui frappe dans l’histoire de nos colonies, c’est que la cause de leur perte provient, non de la manière dont elles ont été directement conduites, mais de la déplorable politique suivie dans la métropole et dont le contre-coup les a ruinées. Il est malheureusement indéniable que la France, si bien douée pour l’expansion extérieure, n’a jamais su diriger sa politique intérieure de manière à profiter de ses grandes