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sort des peuples, n’a jamais été expliqué scientifiquement. On l’attribue vaguement à l’affluence des métaux précieux, à la multiplication des papiers de banque faisant office de monnaie, à un accroissement général de la richesse. Ces motifs, vraisemblables à première vue, ne soutiennent pas l’analyse économique ; ils ne suffiraient pas à expliquer l’enchérissement de toutes choses qui s’est produit dans un courant d’environ sept années, des derniers mois de 1874 à la fin de 1881. Si une étude aussi importante a été négligée, c’est peut-être qu’en temps ordinaires la progression, quoique ininterrompue, n’est pas assez prononcée, assez malfaisante pour qu’on s’applique à en rechercher les causes : mais la crise dont nous souffrons encore a mis le problème à l’ordre du jour; l’évidence des faits en a facilité l’étude, et de même que, dans les expériences scientifiques, on se sert d’appareils pour grossir les objets et en pénétrer les mystères, l’exagération des prix en ces derniers temps a grossi le phénomène à tel point que sa raison d’être n’échappe plus à l’observation. On en peut saisir la loi, et c’est ce que je vais essayer de faire.


I.

Il importe de rappeler au début de cette étude une loi économique trop souvent méconnue : c’est que la réunion des revenus individuels dans une nation est nécessairement égale à la valeur totale, ou, pour mieux dire, au prix mercantile des produits matériels livrés aux échanges.

Si, d’une part, il était possible d’évaluer, d’additionner les revenus de tous les habitans d’un pays depuis les plus grands capitalistes jusqu’aux mendians qui n’ont pour vivre d’autre ressource que l’aumône, et, d’autre part, si l’on parvenait à totaliser les prix définitifs, les prix payés par les derniers acheteurs de tous les produits matériels vendus et consommés, les chiffres de ces deux additions devraient se balancer.

Pour affermir cet énoncé à l’état d’axiome, il est nécessaire d’élucider la question du revenu, qui est restée assez confuse dans les idées du public. On parvient difficilement à s’entendre, parce que l’on confond souvent la valeur d’utilité avec le coût mercantile des produits, le prix de revient avec le chiffre de la vente. Dans les premières estimations du revenu national, on se conformait par réminiscence aux théories des anciens physiocrates, on ne tenait compte que de ce qu’ils appelaient alors le revenu net des propriétaires fonciers et des industriels. Plus tard, on a évalué la richesse collective