Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 60.djvu/195

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
REVUE MUSICALE

Quelle bienheureuse invention que le point d’orgue à profil perdu dans le pianissimo! Mlle Van Zandt lui devait déjà sa fortune, et le voilà qui vient de faire un nouveau miracle en faveur de Mlle Isaac. Ni sa voix admirable ni son talent reconnu de tous à l’Opéra-Comique ne l’avaient prémunie contre une émotion terrible le soir de son début à l’Opéra. Visiblement dépaysée dès son entrée sur cette vaste scène qui a trahi déjà tant d’artistes, elle entama le premier duo sans assurance, et l’hésitation comme l’angoisse allait croissant, lorsqu’arrive la réplique d’Ophélie à la phrase d’Hamlet, et que, sur ces mots : « Soyez témoin de son amour, » la cantatrice pose un accent irrésistible d’habileté dans l’expression et la nuance. À ce decrescendo exquis, très magistral, le public frissonne d’aise, les bravos crépitent et le baromètre se met au beau; bientôt l’air du second acte, avec son allegretto sostenuto un peu maniéré, et son brillant (trop brillant) allegro vient offrir à Mlle Isaac l’occasion qu’elle saisit au vol de déployer toutes les ressources de son art : « Les sermens ont des ailes, » chante Ophélie. — Et les voix aussi, peuvent dire ceux qui l’écoutent : force, étendue, et, pour trait distinctif, un médium d’une sonorité dont rien n’égale le charme; du reste, l’ensemble de cette reprise est à constater. Jamais on n’imagina figuration mieux appareillée : M. Lassalle dans Hamlet, Mlle Isaac dans Ophélie, Mlle Richard dans Gertrude, tous également puissans de corps et de voix et prêtant au physique des personnages les énormes proportions de la résonance. Ainsi placée entre M. Lassalle et Mlle Richard, Mlle Isaac est une Ophélie très suffisamment élancée et presque svelte. La sveltesse du chant, c’est la vocalise, et tout