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De Thou, en racontant cette cérémonie, dit : « Je me souviens qu’après la messe, on me fit entrer dans le chœur (de Notre-Dame) par la galerie et que, me trouvant auprès de Coligny, comme j’avois les yeux attachés sur lui et que je le regardois avec beaucoup de curiosité et d’attention, je vis qu’il montrait à Damville les drapeaux des batailles de Jarnac et de Moncontour, suspendus aux murs de l’église, triste monument de la défaite de leur parti, et je lui entendis dire ces mots : « Dans peu, on les arrachera de là et on en mettra d’autres en leur place qui seront plus agréables à voir.  » Il vouloit parler sans doute de ceux qu’on gagneroit dans la guerre contre Philippe II, qu’il croyoit résolue. D’autres cependant interprétoient ces paroles bien autrement et crurent qu’il vouloit parler d’une nouvelle guerre civile ; mais il est certain qu’il la détestoit sincèrement.  » Coligny n’assista point le soir au bal donné au Louvre ; il rentra dans son logis et écrivit à sa femme la dernière lettre qu’elle reçut de lui ; il l’assurait qu’il ne prendrait pas beaucoup de part aux « festins, masques et combats,  » qui devaient avoir lieu pendant huit jours. Le 22 août, le roi, qui avait prié Coligny «  de le supporter quelques jours en ses passe-temps,  » convoqua son conseil. Maurevel était arrivé à Paris la veille, il avait été caché dans une maison du cloître Saint-Germain-l’Auxerrois par le maître d’hôtel du duc d’Aumale ; un cheval était sellé et bridé à une porte du cloître, un autre à la porte Saint-Antoine. Maurevel attendit que Coligny sortît du Louvre et se rendît par son chemin accoutumé, par la rue des Fossés-Saint-Germain, à son logis, rue de Béthisy.

L’amiral revenait à pied avec une douzaine de gentilshommes, lisant une requête, quand une arquebusade lui fut tirée obliquement. Une balle cassa l’index de la main droite, une autre resta dans le bras gauche. Si l’amiral ne fut pas frappé à la poitrine, c’est sans doute parce qu’il avait aux pieds des mules qui le gênaient et qu’il fît un mouvement pour les mieux ajuster au moment où tira Maurevel. Coligny marcha d’un pas ferme vers sa maison ; on alla chercher Ambroise Paré, qui réussit à extraire la balle du bras gauche et qui fit la section de l’index de la main droite.

Le roi jouait à la paume quand on lui porta la nouvelle. Il brisa sa raquette : « N’aurai-je donc jamais de repos ? » Soupçonna-t-il sa mère ? Rien ne le fait croire. Il ne songea sans doute d’abord qu’à la vieille inimitié entre les Châtillon et les Lorrains. Marguerite de Navarre dit que, si le roi eût tenu le duc de Guise, il l’eût fait arrêter sur l’heure. Il voulut faire sur-le-champ visite à l’amiral, Catherine s’offrit à accompagner son fils : présente, Coligny n’oserait l’accuser ; mais s’il tenait le roi seul, savait-on tout ce qu’il pourrait lui dire ? Le roi partit à deux heures après midi pour le logis de