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des hésitations et des désobéissances était passé, qu’il devait avoir compris que lord Granville avait ses raisons pour insister comme il faisait, qu’il serait aussi dangereux qu’inutile de poursuivre la résistance, qu’on ne s’exposerait pas seulement, en y persistant, à une question de cabinet, mais que la couronne du khédive elle-même serait menacée et qu’il n’en répondrait pas huit jours si, séance tenante, les exigences anglaises n’étaient point acceptées. Sur ce, sir Edouard Malet prit son chapeau, laissant Chérif terrifié. Que pouvait faire le conseil des ministres ? Se soumettre ou se démettre. Il eut le tort de se soumettre. Le soir même, les arrangemens réclamés par sir Edouard Malet furent signés. Le procès d’Arabi se trouvait. virtuellement fini.

Mais, à la place d’un procès allait se dérouler la plus étonnante et la plus imprévue des comédies judiciaires. Il est difficile de se rendre compte des raisons particulières pour lesquelles, au dire de sir Edouard Malet, lord Granville avait dû insister si énergiquement sur l’acceptation par le gouvernement égyptien d’avocats anglais. En Égypte, les avocats indigènes ne manquent pas ; beaucoup ont fait leur droit à Paris ou à Londres, et il était assurément fort étrange de les voir récuser, par qui ? Par Arabi, par le chef du parti national, par l’homme qui, peu de jours auparavant, prétendait chasser tous les Européens de l’Égypte, et trouver parmi ses compatriotes, non-seulement des avocats, mais des juges, mais des administrateurs, mais des politiques d’une intelligence et d’une probité absolues. Cependant, même en repoussant les indigènes, on pouvait se procurer en Égypte, dans le barreau des tribunaux de la réforme, des défenseurs dignes de prendre en main la cause des rebelles ! Connaissant la langue, les mœurs et les lois du pays, ils auraient offert des garanties qu’à coup sûr les étrangers imposés par lord Granville ne présentaient pas. D’où venaient ces. étrangers et qu’étaient-ils ? On n’avait pas le droit de dire qu’ils avaient été librement et spontanément choisis par les accusés, puisque c’était M. Blunt qui les avait envoyés en Égypte. Or j’ai déjà expliqué le rôle joué par M. Blunt auprès d’Arabi. Personne n’avait contribué autant que lui à lancer les colonels dans la révolte, personne n’avait rempli auprès d’eux une mission plus équivoque. Lorsqu’il était venu une première fois au Caire, il prétendait y arriver sous la protection ou du moins avec la connivence du foreign office. Plus tard on l’avait désavoué ; mais n’était-il pas pour le moins surprenant qu’après s’être aussi hautement séparé de lui, on mît tant d’ardeur à soutenir ses avocats ? Les Égyptiens, qui cherchent partout des dessous de cartes, en ont conclu qu’on était obligé de servir M. Blunt, parce qu’autrefois on s’était trop servi de lui. Ce qu’il y a de certain, c’est que de loin il a dirigé le procès d’Arabi.