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parlaient couramment la meilleure langue et, sans être apprêtées, elles jugeaient d’un trait, avec une indépendance et une finesse personnelles, les livres nouveaux, les renommées à la mode, s’échauffant pour une page des Confessions et disant à ravir une page de Voltaire. Si les financiers faisaient parfois antichambre dans ; leur hôtel, les écrivains de talent n’y attendaient jamais ; ils leur donnèrent en revanche la connaissance du cœur de l’homme, un supérieur bon sens associé à l’ardent désir de plaire et une franchise d’allure qui n’excluait jamais la distinction. Si la comtesse de Vintimille, que nous retrouverons plus tard, prenait le deuil le jour de l’anniversaire de la mort de Mme de Sévigné, l’on sait aussi quelle est celle qui, ayant à choisir un précepteur pour ses fils, exigeait d’abord qu’il eût connu l’amour. Ce sont bien les deux côtés du siècle ; Memento quia pulvis es, comme disait Diderot des pastels de Latour, où revivaient ces fragiles et suprêmes élégances !

Mme de Beaumont apportait dans ce monde une insatiable curiosité intellectuelle. Ceux qui l’ont vue faisant les honneurs des soirées de son père, ou bien étant de service à la cour, dépeignent dans ces années sa personne comme alliant la vivacité à la tristesse, une spirituelle pétulance à la mélancolie et une absence de fadeur qui attestait la vigueur saine du dedans. Elle n’avait pas encore ce parler lent que les souffrances devaient lui apporter. Dans le rayonnement de ses vingt ans, elle inspirait plus de sympathies que de flammes, et dans ce temps où l’on disait tout parce qu’on acceptait tout, nous ne rencontrons sur elle aucune médisance. Seule, la Correspondance secrète mentionne des liaisons intimes de Mme de Beaumont avec un aimable abbé. Celui qui est ainsi désigné avait été présenté à M. de Montmorin par un autre abbé non moins célèbre, M. de Talleyrand-Périgord ; et il devait deux années plus tard, lors de la fête de la fédération, le 14 juillet 1790, lut servir d’assistant à la célébration de la messe du champ de Mars. C’était un conseiller clerc à la troisième chambre des enquêtes du parlement de Paris, âgé de trente-cinq ans à peine, fort ambitieux et remuant, lancé de bonne heure par l’économiste Panchaud dans l’étude des sciences politiques et financières. On l’appelait l’abbé Louis en attendant qu’il devînt baron. Il était très avant dans la confiance de M. de Montmorin. Comme l’abbé possédait à un haut degré avec une forte éducation ecclésiastique l’esprit d’observation, comme il était l’ami d’Adrien Duport, son collègue au parlement, il s’était affilié à une société très connue, la société des Trente, qui a devancé par ses projets la Déclaration des droits de l’homme. Sans fortune, il ménageait avec soin ses amitiés, se faisant des protecteurs dans tous les partis et professant cependant la plus rigoureuse fidélité dans ses liaisons. « Mettant beaucoup de suite dans cette manière d’agir, écrivait La Marck au