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porcelaine. Ce sont de vrais enfans, hâlés par le grand air, bronzés par le soleil, que la croissance a rendus sveltes et que l’exercice a faits robustes. La mère est vraiment belle dans son attitude simple, dans ses mouvemens harmonieux, dans son expression de calme et d’ineffable douceur. Les pieds nus, le corps couvert d’une robe foncée, elle se détache en relief sur la mer frangée d’écume et sur le ciel léger et éclatant. Un petit bonnet blanc, posé sur ses cheveux très noirs, est le point lumineux du tableau. On dirait une auréole mise au front de cette mère heureuse. Le dessin est serré et élégant, la touche virile, la couleur vive et lumineuse. Mme Demont-Breton mérite tous les éloges pour cette œuvre d’un charme sévère, où l’exécution est à la hauteur du style. Là est l’alliance de la vérité et de la poésie.

On ne veut point, au nom des grandes traditions de l’art de la peinture, proscrire les types contemporains et les tableaux rustiques. Mais on veut que, dans ces sujets, pris à la vie moderne, le peintre s’efforce, comme en d’autres sujets, de marquer le style. On veut que l’artiste trouve la noblesse, la simplicité des attitudes, comme l’a fait M. Jules Breton dans le Matin ; qu’il donne une émotion pathétique, comme M. Tattegrain dans les Deuillans ; qu’il montre la mâle grandeur du travail, comme M. Lhermite dans la Moisson ; qu’il exprime un sentiment profond de mélancolie, comme M. Hébert dans le Petit Violoneux. M. Hébert n’a jamais mieux peint. Ce violoneux sera dans son œuvre ce que, toutes proportions gardées, le Joueur de violon de la galerie Sciarra est dans l’œuvre du grand Raphaël.


IV

Depuis vingt ans les portraits de M. Cabanel ont épuisé l’éloge. Des deux très beaux portraits de femmes qu’il expose cette année, que pourrait-on dire qu’on n’ait déjà dit bien souvent de tant d’autres chefs-d’œuvre signés par lui ? Cabanel a la précision du dessin, la pureté des lignes, la couleur harmonieuse, le modelé ferme et délicat des Florentins. Il pénètre jusque dans l’âme du modèle, en saisit la pensée intime et la fixe dans le regard. Si grande qu’elle soit, la réputation de Cabanel grandira encore. Des effets de couleur, des trompe-l’œil de relief, des recherches de sobriété austère dans l’arrangement peuvent séduire ou frapper davantage chez les autres maîtres du portrait. Aucun d’eux n’est supérieur à ce grand portraitiste.

M. Bonnat expose un excellent portrait de M. Morton, ministre des États-Unis, et le portrait de Mme E. K***, plus intéressant en ceci