Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 57.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soient les visiteurs et les visiteuses du Salon carré, l’œil n’est frappé d’abord et n’est charmé ensuite que par l’éblouissante féerie du Véronèse, l’élégante silhouette du portrait de Van Dyck, la tache d’or du Corrège : c’est la revanche de la grande peinture !

M. Gervex eût été bien inspiré en remettant au prochain Salon l’exposition de son Bureau de bienfaisance. Cet ajournement lui eût permis de terminer son tableau, qui n’est encore qu’à l’état d’ébauche. M. Gervex aurait eu le temps de remplir l’intérieur des galbes et de modeler les têtes. Un visage d’enfant n’est point une boule de chair percée de trois trous en guise de bouche et d’yeux. Le jeune peintre aurait pu chercher un centre, un motif principal pour sa composition, et il aurait pu aussi peindre l’immense guichet de bois qui occupe toute la partie gauche de la toile d’un ton de bois moins sale et moins faux. Et penser que M. Gervex a tant de dons naturels, tant de talent acquis ! Voyez à travers la grande baie qui éclaire la pièce les toits des maisons couverts de neige se profiler sous un ciel nuageux que colorent d’une teinte rosée les pâles rayons du soleil couchant. On ne saurait peindre avec des tons plus justes, avec une plus vive légèreté de touche. Étudiez maintenant les mains de la femme du premier plan, qui tient la petite fille. Quelle sûreté de dessin ! quelle fermeté dans le modelé ! Certes les défauts de M. Gervex et des peintres de la nouvelle école sont des défauts voulus. C’est pour cela qu’il faut leur être sévère.

Les bureaux de bienfaisance, même s’ils sont peints par M. Gervex, ne suffisent pas à toutes les misères, témoin la Famille sans asile, de M. Pelez. Une pauvre femme et ses cinq enfans sont sur le trottoir de la maison dont on les a expulsés. Trois enfans dorment, le plus jeune tette le sein flétri de la mère ; un autre, assis sur un paquet de hardes, les mains croisées et tombantes, exprime l’abattement et le désespoir morne. Tout ceci est très solidement peint dans une tonalité un peu grise. La tête de l’enfant qui sommeille au premier plan a une exquise délicatesse de modelé. M. Pelez aurait pu se priver d’afficher sur la muraille, comme une douloureuse antithèse, des annonces de bals, de fêtes, de concerts. C’est un délit d’excitation « à la haine et au mépris des citoyens les uns contre les autres, » qui est justiciable du bon goût. M. Pelez oublie d’ailleurs que beaucoup de ces fêtes ont tout justement la charité pour objet ou pour prétexte. Dans un tableau qui est loin de valoir, sous le rapport de l’exécution, celui de M. Pelez, M. Thévenot a exprimé un sentiment peut-être plus poignant encore. Au fond d’une misérable mansarde faiblement éclairée par une lucarne, un homme affaissé sur sa paillasse songe qu’il n’a plus de pain à donner à la chère petite enfant qui, à peine couverte de vêtemens en lambeaux,