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moindre détail et qu’il avait accomplie dans le délai par lui fixé tout d’abord. Pendant toute la durée du siège il montra non-seulement une intrépidité toujours égale, une persistance dans le mépris du danger qui causait de réelles alarmes, mais aussi une vigilance, un savoir et un esprit de ressources qui furent admirés des hommes du métier. Voici d’abord ce que. lui écrivait Mazarin le 15 juillet :

« J’apprends avec frayeur que vous n’êtes pas seulement jour et nuit après les travaux, mais que vous hasardez votre personne jusqu’aux plus petites occasions avec la même prostitution que si vous n’estiés qu’un simple soldat… Il est temps que vous mettiés de la différence entre les fonctions d’un volontaire et le devoir d’un général… Considérez qu’une partie du salut et de la gloire de cet estat repose sur vostre teste… Je vous conjure donc, Monsieur, d’estre meilleur ménager d’une vie qui n’est point à vous. » Et pour effacer tout soupçon de flatterie déguisée sous ce conseil, le cardinal ajoutait quelques jours plus tard : « Ne prenez pas ce que je vous dis pour de la cajolerie. »

Il serait superflu de citer d’autres témoins et d’insister sur un point aussi bien établi que la vaillance de Condé ; mais il est un côté presque scientifique de cette grande figure qui est moins connu, et c’est cependant un des aspects sous lesquels il tenait le plus à paraître devant la postérité. Nous avons dit combien avaient été fortes ses études, et nous verrons plus tard Bossuet lui demander des leçons de physique. Fruits de son travail ou dons de la nature, il réunissait les conditions essentielles qui font les maîtres dans ce grand art de l’ingénieur militaire : la précision du calcul et l’esprit d’invention dans la conception, l’habileté et la hardiesse dans l’exécution.

La Moussaye a donné du siège de Thionville un récit où, sans négliger les épisodes dramatiques, il expose dans le menu les procédés employés à chaque phase du siège, entrant dans des détails d’exécution qui ne pouvaient être connus du brillant aide-de-camp. Le journal d’un officier du génie ne saurait être plus complet et plus lucide ; nous lui avons fait quelques emprunts. Entre autres épisodes, nous avons raconté celui où le général en chef reprend et achève un travail interrompu par la mort de celui qui le dirigeait ; nous ne saurions multiplier ces explications techniques. Que le lecteur curieux cherche dans le petit volume quia pour titre Rocroy et Fribourg, si mutilé qu’y soit le texte original, l’exposé du percement des galeries si difficiles à étançonner dans « cette terre mouvante, toute détachée et qui se réduisait en poussière par l’ébranlement des mines, » ou bien encore « le passage du fossé » plein d’eau et des plus profonds, exécuté par la combinaison de la