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pouvoir temporel. C’est prévoir les malheurs de bien loin. Tout gouvernement qui mettrait l’épée de la France au service d’autres intérêts que les intérêts français prononcerait lui-même sa déchéance. Mais les Italiens croient que notre cas est l’inverse du leur, que nous sommes la plus vieille des nations et le plus jeune des peuples, et qu’il est peu de folies dont nous ne soyons capables.

Dans le fond, la seule inquiétude sérieuse qu’ils aient éprouvée a été la crainte qu’il ne s’opérât un rapprochement durable entre l’Allemagne et nous. Comme les gens trop candides, les gens trop fins sont sujets à s’abuser. Les Italiens se sont imaginé plus d’une fois, depuis la conférence de Berlin, que nous avions conclu un accord secret avec M. de Bismarck, que désormais il se ferait un devoir d’aller au-devant de tous nos désirs, qu’il nous prodiguerait les marques de son bon vouloir. Ils savent que son habitude est d’obliger ses amis en leur offrant le bien des autres ; ils ont craint que, pour nous faire oublier nos malheurs, il ne nous procurât des compensations à leurs dépens. Aussi ont-ils travaillé activement à nous supplanter dans ses bonnes grâces. Ils ont pensé que la place était bonne et ils ont voulu nous la prendre, nous dépouiller d’un bien auquel nous n’avions garde de prétendre.

M. Mancini a déclaré, dans son discours au sénat italien, qu’il n’était animé d’aucun sentiment hostile à notre égard. Nous l’en croyons sans peine ; l’homme éminent qui a été choisi pour représenter l’Italie à Paris nous est un garant qu’on désire avoir de bons rapports avec nous. Nous croyons aussi qu’en accédant à la triple alliance, M. Mancini s’est proposé surtout de prouver et à l’Europe et au saint-père que l’Italie n’était pas isolée, qu’il y avait quelqu’un derrière elle. Du même coup, il a voulu procurer au cabinet dont il fait partie un prestige qui flattât l’amour-propre national, et, sans contredit, grâce à la triple alliance, M. Mancini est désormais plus sûr de sa situation, mieux armé pour défendre son portefeuille contre tous ceux qui désirent l’en soulager. Pendant longtemps. M. de Bismarck a tenu la dragée haute au cabinet Depretis et repoussé dédaigneusement ses avances. Naguère encore il lui adressait de Berlin de sévères avertissemens. Il lui remontrait que le libéralisme conduit par une pente fatale au radicalisme, que les ministères de gauche mènent à la république, et il n’entend pas qu’il y ait en Europe d’autre république que la nôtre. Si ses vœux eussent été exaucés, ce ministère de gauche eût fait place à un ministère de droite. Mais il n’a pas de sots entêtemens, il se résigne à ce qu’il ne peut changer. Il a été fort mécontent de voir M. Gladstone revenir aux affaires, il s’est accommodé de M. Gladstone. Il a fini aussi par s’accommoder de MM. Depretis et Mancini. Nous craignons seulement que, s’étant fait longtemps prier, il ne leur fasse acheter les avantages qu’il leur promet par beaucoup de complaisances et que l’excès de leurs