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Tout est venu de là. Le ministre des affaires étrangères du roi Humbert, pressé d’interpellations sur sa politique, s’est défendu de son mieux en annonçant comme une bonne nouvelle, comme un succès de sa diplomatie, l’existence d’une entente désormais assurée de l’Italie avec les deux grands empires du centre de l’Europe, avec l’Allemagne et l’Autriche. Il n’a pas dit positivement qu’il y eût un traité, il n’a pas précisé la forme donnée à l’entente des trois cabinets ; il en a dit assez pour constater comme un fait certain l’entrée de l’Italie dans l’alliance austro-germanique. Si M. Mancini avait seul parlé, il s’est déjà trompé plus d’une fois, il aurait pu s’être trompé encore ou s’être exagéré les mérites de sa diplomatie ; mais à peine a-t-il eu fait ses déclarations dans le parlement de Rome, les commentaires, les versions de toute sorte, les conjectures ont commencé. Une agence de publicité, prétendant éclaircir ce qu’il y avait encore de mystérieux dans les paroles du ministre italien, s’est empressée de dire qu’il y avait un traité formel entre les trois puissances ; elle en a même précisé les termes, le caractère, les conditions principales. A Vienne, les déclarations de M. Mancini ont été accueillies avec un certain embarras ; on n’a pas nié l’alliance, on s’est étudié seulement à en atténuer la portée, et surtout on a contesté l’existence d’un traité. A Berlin, les explications ont été assez étranges, à la fois audacieuses et ambiguës. Ceux qui passent pour être dans la presse les interprètes de la pensée de M. de Bismarck se sont arrangés pour laisser comprendre que l’entente existait effectivement, qu’elle n’avait pas besoin d’ailleurs d’être formulée dans un traité, qu’elle se fondait sur des intérêts communs aux trois puissances dans des éventualités où la France prendrait une initiative perturbatrice et agressive. C’est un accord de prévoyance et de préservation pour le maintien de la paix. Quelle est la vérité dans tout cela ? Évidemment, il y a quelque chose, et ce quelque chose n’a pas été fait dans un sentiment bienveillant pour notre pays, on n’a pas besoin de nous le dire. Il n’y a point de traité écrit, c’est vraisemblable, puisqu’un traité de ce genre ne se conclut pas pour des circonstances hypothétiques et peut être quelquefois compromettant. Il ne s’agit pas d’une alliance offensive, puisque rien dans la situation de l’Europe n’expliquerait une aussi étrange combinaison et qu’il serait dans tous les cas difficile d’imaginer comment l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie pourraient s’entendra dans une action commune contre un de leurs voisins. Ce qui existe, selon les apparences les plus plausibles, c’est donc un accord tout pacifique, défensif ou négatif, et tout se réduit sans doute à l’admission de l’Italie, sous une forme quelconque, par voie d’entente verbale, dans l’intimité de l’Allemagne et de l’Autriche. C’est peut-être tout le secret de ce discours de M. Mancini, qui a été si vivement commenté.

Soit ! l’Italie a obtenu ce qu’elle voulait : elle l’a vraiment bien gagné. Il n’y a pas si longtemps encore, elle en était à offrir