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groupes : le premier fait violence à ses scrupules pour voter, par discipline, avec la gauche; le second se réfugie dans l’abstention; le troisième se résigne à voter avec la droite. Rien de plus explicable et souvent même de plus respectable que ces divergences; mais elles prennent aisément l’apparence de l’inconséquence, de l’équivoque, voire même de l’intrigue. Si elles ont peine à se faire comprendre dans le milieu parlementaire, où les plus intransigeans n’échappent pas à la nécessité de certains compromis, comment seraient-elles comprises dans le pays lui-même, dans cette masse ignorante et passionnée du suffrage universel, qui n’envisage les questions que d’une façon à la fois superficielle et absolue et qui resterait indifférente aux luttes politiques si les partis ne s’appliquaient à en grossir l’objet au-delà de toute mesure et de toute justice? Non-seulement le peuple comprend mal une politique modérée, mais il va naturellement aux extrêmes. Il épouse plus aisément les passions radicales ou rétrogrades que les sentimens plus rassis ou plus complexes du parti libéral ou du parti conservateur. Il y a chez lui, souvent dans le même temps, de l’enfant et du vieillard. Il tient du premier par son inexpérience et par son impatience de tout obstacle; du second, par la persistance de certains préjugés qui témoignent parfois de la force invincible des traditions au milieu des tentatives les plus révolutionnaires. Le rôle du centre gauche est particulièrement difficile en France, où le double besoin de la logique et de la franchise s’allie à une paresse naturelle, qui se complaît dans la simplicité des jugemens et des théories, et qui craint de l’altérer par un examen trop approfondi de tous les aspects des choses. Nous redoutons par-dessus tout les reproches d’inconséquence et de duplicité ; nous interprétons mal les hésitations d’une conscience scrupuleuse et nous accusons volontiers de « ménager la chèvre et le chou » ceux qui n’épousent pas sans réserve toutes les opinions et toutes les passions de leur parti. Ce n’est pas qu’il ne se produise, à certains momens, dans le pays, de brusques mouvemens d’opinions, qui emportent les esprits d’un extrême à l’autre. On s’écrie alors, non pas qu’on s’était trompé, mais qu’on avait été trompé; on transporte dans ses nouvelles opinions la même logique, les mêmes formules absolues, la même paresse à rechercher ce qu’il y a au fond de ces formules et aussi la même défiance à l’égard des idées modérées.

Il ne faut pas toujours taxer d’aveuglement ou d’injustice cette défiance des masses pour les opinions et pour les hommes du centre gauche. La politique demande un esprit de décision qui a souvent manqué à ce parti de la modération et de la prudence, et qui semble même difficilement compatible avec les qualités dont il se fait honneur. Les scrupules les plus honnêtes deviennent blâmables quand