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extérieures qui l’assouplissent aux besoins présens des sociétés. Depuis dix-huit cents ans, l’évangile a suffi à ces exigences sans cesse renaissantes ; en creusant plus avant le merveilleux livre, l’homme y trouve l’aliment voulu pour sa faim nouvelle. M. Réville a dit excellemment : « L’esprit du christianisme est la recherche inquiète du meilleur. » Aujourd’hui beaucoup d’âmes croient que la crise de la conscience moderne doit se résoudre par une de ces rénovations. Plus grand encore est le nombre des intelligences tendues vers la recherche du mieux social ; c’est dans cette direction que la mine évangélique est la plus riche, la moins fouillée ; là se cache peut-être la formule religieuse et sociale que tant de cœurs sollicitent. Oh ! je sais bien que, depuis 1848, cette idée est entachée de défaveur et surtout de ridicule. Avant de rire, j’ai coutume de regarder toujours en arrière et de me représenter comment nos aïeux auraient ri des idées les mieux établies pour nous. Prenez, par exemple, un sujet de Philippe II d’Espagne, de Marie d’Angleterre ou de Charles IX de France ; tout à coup, ce voyant se met à prédire l’émancipation absolue de la conscience, la faculté pour chacun d’adorer Dieu suivant ses propres lumières, la liberté de décider publiquement sur toutes les matières, l’égalité civile et politique, la surveillance du pouvoir par tous les intéressés. Certes, tous ses contemporains eussent traité de fou ce visionnaire s’il eût ainsi prédit les conséquences des nouvelles découvertes qu’on faisait à cette heure dans l’évangile ; pourtant il eût simplement annoncé l’état dans lequel nous vivons, les progrès qui devaient sortir, après deux siècles de travail latent, de la grande secousse imprimée aux âmes autour de lui. — Ainsi, lors de la première renaissance religieuse, l’interprétation libérale de l’évangile a préparé la transformation civile et politique à peu près accomplie aujourd’hui dans le monde chrétien ; pourquoi ne pas espérer qu’à la prochaine étape, le sens social du livre nous sera révélé et que, de cette nouvelle évolution religieuse, l’histoire saura tirer encore, avec sa lenteur et sa sagesse accoutumées, un moule social approprié aux besoins des hommes, aussi supérieur à l’ancien que notre vie civile est supérieure à celle du moyen âge ? Si cette seconde réforme s’accomplit, d’abord dans les âmes, puis dans les faits, il faudra reconnaître que le gouvernement supérieur du monde depuis l’institution du christianisme est une chose miséricordieuse et admirable.

Revenons au peuple russe ; rien ne lui interdit de penser qu’il est appelé à jouer un grand rôle dans ces transformations de l’avenir. Le tour d’esprit de ce peuple le prédispose à suivre cette voie ; il est foncièrement pieux, il ne craint pas les expériences