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transparent, au centre de laquelle est planté un petit bouton métallique. Tout l’œil est enchâssé dans une feuille de bronze qui remplace la paupière et les cils. Grâce à cet artifice, la figure prend une réalité singulière. L’artiste grec lui-même n’a jamais rien fait d’aussi vivant[1]. » Le Scribe accroupi, le Cheik-el-Béled, sont des portraits admirables ; l’art égyptien a fait pourtant autre chose que des portraits. Il lui est arrivé, comme à tous les autres, de s’élever jusqu’à l’idéal, puis de se perdre dans la convention. M. Perrot nous fait très bien comprendre comment et par quelle route il y fut conduit. L’Egypte, on le sait, honorait ses rois comme des dieux. Quand un artiste avait à faire la statue d’un roi, il lui répugnait de le traiter tout à fait comme un mortel ordinaire, et il voulait faire sentir de quelque façon la divinité de son modèle. Dans la disposition des accessoires, dans la pose et les attitudes, dans la dimension des traits, il cherchait un moyen de rendre sensible à tous l’idée qu’il se faisait lui-même de cet être exceptionnel. Cet effort est visible dans la plupart des statues royales : on peut croire que la ressemblance générale y était conservée autant que possible, mais la figure n’est plus reproduite avec la même exactitude naïve et charmante. Ce premier chargement en amena bientôt un autre. Supposons qu’une de ces statues ait eu beaucoup de succès, qu’on ait trouvé, à la cour du roi, qu’elle figurait mieux la majesté du pouvoir souverain, il est naturel qu’on ait fait aux autres artistes, d’abord une nécessité, puis un devoir de l’imiter. Désormais le Pharaon ne voudra plus être représenté d’une autre manière : il faudra lui donner toujours la même attitude solennelle, placer sur sa tête cette ample bande d’étoffe rayée qui, après avoir couvert le front et la nuque, s’étale, se tient droite de chaque côté de la face et retombe jusque sur la poitrine, orner son menton de cet appendice postiche qu’on appelle la barbe osiriaque, qui allonge et agrandit le visage. En un mot, ce qui avait été d’abord l’invention ingénieuse d’un artiste, une façon naturelle pour lui de rendre son impression personnelle en face de la royauté, devient un procédé qu’on impose officiellement à tous les autres. Voilà comment l’art sincère et vrai des vieux maîtres est tombé peu à peu dans la manière et la convention. C’est en cet état que les Grecs l’ont trouvé quand ils se sont emparés de l’Égypte.

  1. Il est difficile d’imaginer à quel point l’effet que produit cette combinaison dans certaines circonstances peut être saisissant. Une fois que Mariette ouvrait un tombeau, à Meydoum, le premier rayon du jour qui entra dans la tombe, fermée depuis six mille ans, tomba sur le front de deux statues appuyées contre le mur de la salle, et fit jaillir si vivement l’étincelle de leurs yeux que les fellahs épouvantés lâchèrent leurs outils et s’enfuirent. Revenus de leur frayeur, ils voulurent briser les statues, persuadés qu’elles renfermaient un mauvais génie, et l’on dut mettre le revolver au poing pour les en empêcher. J’emprunte ce détail à un article de M. Maspero dans les Monumens de l’art antique, que publie M. Rayet.