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passer. Toutefois il est permis de croire que, si le seul homme assez fort pour faire une sérieuse opposition à Périclès n’eût pas été en exil, Périclès eût été plus réservé dans ses actes et moins absolu dans ses idées. Quelque chose qui eût pu résulter pour Athènes de la rivalité de deux chefs de parti, il ne lui fût rien arrivé de pis que la guerre du Péloponnèse provoquée par l’absolutisme de Périclès. Plus qu’aucun autre, le bannissement d’Hyperbolos démontre la vanité de l’ostracisme. S’il y avait à Athènes un citoyen dangereux par son ambition et ses talens, n’était-ce pas Alcibiade ? C’était à croire que l’ostracisme avait été institué spécialement pour lui. En l’exilant, les Athéniens peut-être auraient évité l’expédition de Sicile, qui leur fut si funeste. Mais la seule fois que l’ostracisme eût pu servir, on n’a pas su l’appliquer. Au demeurant, Alcibiade, qui n’avait pas les vertus morales d’Aristide et de Cimon, eût été, comme Thémistocle, plus à craindre hors d’Athènes que dans Athènes. Ce qu’il fit après avoir été condamné par contumace, il l’eût fait exilé par l’ostracisme. La raison d’état, en admettant qu’existe cette « prostituée, » selon l’énergique expression de Victor Hugo, se trompe quand elle frappe de tels hommes ailleurs qu’à la tête.

Athènes n’était pas la seule cité grecque qui eût l’ostracisme ; Argos, Milet, Mégare, Syracuse, l’avaient adopté aussi. Il n’eut pas là un meilleur effet, à en juger du moins par ce qui se passa à Syracuse. Diodore rapporte que la crainte de l’exil eut pour résultat d’éloigner des affaires publiques tous les citoyens dont les talens et la sagesse étaient reconnus. Ils laissèrent la conduite de l’état tomber aux mains d’hommes de rien et de vulgaires ambitieux qui firent passer des lois inapplicables et mirent partout le désordre. Des factions multiples et sans cesse renaissantes désolèrent la cité. La loi du pétalisme (l’ostracisme des Syracusains) fut abrogée vingt ans à peine après avoir été promulguée. Syracuse trouva alors le calme et la prospérité.

Et c’est cette loi d’ostracisme, cette loi usurpatrice du pouvoir judiciaire, cette loi que les républiques antiques révoquaient, il y a plus de vingt-quatre siècles, comme attentatoire au droit et inutile à l’état, qu’un groupe de députés, renommés quand ils étaient dans l’opposition pour leur culte de toutes les libertés, s’est avisé de proposer à une assemblée française et républicaine ! En effet, le pénible souvenir de l’ostracisme, tant reproché aux Athéniens, s’impose à l’esprit lorsqu’on lit cette loi nouvelle dont la France est redevable à un professeur de philosophie en vacances. O Platon ! Comme l’ostracisme, la loi de la chambre est une loi de suspicion, une loi préventive. — « Il y a des législateurs, disait Beccaria, qui