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croître en même temps que le nombre des animaux qui l’habitent. L’île peut nourrir vingt mille éléphans : elle ne peut en nourrir un plus grand nombre.

Malgré cette insuffisance du sol nourricier, les éléphans continueront à se reproduire, et alors, de toute nécessité, dans le siècle suivant, il y aura, sur les deux cent mille éléphans qui sont nés et devraient vivre, mort de cent quatre-vingt mille d’entre eux. Entre ces deux cent mille éléphans confinés dans un étroit espace, qui ne peut en nourrir que vingt mille, il va s’engager alors une véritable lutte pour l’existence. Les plus vigoureux, les plus agiles, les plus intelligens, survivront ; ceux-là seuls en effet seront capables, soit de combattre vaillamment, soit de résister longtemps à la faim, soit de trouver une pâture difficile, soit de gravir des endroits escarpés, soit de défendre par la force ou la ruse le champ qu’ils habitent. Pour ne pas être écrasés ou affamés, il leur faudra se tenir constamment en éveil. Dans ces conditions, l’existence est une perpétuelle lutte. Les conséquences de cette lutte ont été admirablement exposées par Darwin. Ce sont les forts qui remportent la victoire et survivent ; ce sont les faibles qui sont vaincus et qui périssent.

Il en est des plantes comme des animaux. Un champ où poussent des épis de blé, pressés les uns contre les autres, ne saurait en nourrir un plus grand nombre. Cependant si tous les grains de blé produits par ces épis venaient à germer, ils pourraient couvrir un champ d’une étendue cent fois plus grande. Il n’est donc parmi cent jeunes graines qu’une seule graine qui pourra se développer dans le même champ : les quatre-vingt dix-neuf autres sont condamnées à ne pas germer, ou à être atrophiées et étouffées quelque temps après leur germination.

Non-seulement animaux et plantes luttent pour vivre contre les individus de même espèce ; mais ils ont encore d’autres luttes à soutenir, souvent plus cruelles, contre des animaux et des plantes d’espèces différentes.

Une prairie, une forêt, une région quelconque du sol terrestre, ne peut contenir qu’un nombre de plantes ou d’arbres étroitement limité, et néanmoins le sol de cette prairie, ou de cette forêt, reçoit chaque année après la floraison un nombre immense de graines. Chaque année est un vaste ensemencement : chaque année assiste aussi à un colossal avortement. Chênes, ormes, hêtres, bouleaux, lierres, pins, mousses, champignons, tous ces êtres se disputent le sol nourricier de la forêt. Pour qu’une nouvelle graine grandisse, il faut qu’un vide se soit fait parmi les vieux arbres. Que l’un de ces arbres, touché par la vieillesse ou par la maladie, ou par une injure extérieure,