Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ces raisonnemens trouvent crédit auprès des ignorans ; car un peu de vérité est mêlé avec art à beaucoup d’erreur. Trop souvent, hélas ! le médecin est impuissant à combattre les maux qui sévissent sur nous. Mais vraiment on ne peut demander à la physiologie de guérir des maux incurables et de rendre l’homme immortel. Son rôle n’est pas là ; elle a pour mission de connaître la vérité, et c’est au médecin à appliquer les conséquences de cette vérité nouvelle au traitement des maladies.

Qui oserait dire sérieusement que la médecine moderne, éclairée par les grandes découvertes physiologiques de ce siècle et des siècles précédens, n’est pas supérieure à la médecine du moyen âge ? La circulation du sang est une conquête de la vivisection. Peut-on se faire une idée de la pratique d’un médecin qui ne croirait pas à la circulation du sang ? Parmi les membres de la Société protectrice des animaux en est-il un seul qui voudrait se faire soigner par un médecin qui ne crût pas à cette circulation ? Je suppose qu’on veuille bannir de la thérapeutique tous les résultats expérimentaux pour accepter uniquement ce qui est dû au hasard et ai l’empirisme ; il restera assez peu de chose. On n’aura pas l’électricité, puisque toutes nos connaissances, à cet égard, sont dues aux expériences des vivisecteurs. Si Galvani n’avait pas eu l’idée d’accrocher des grenouilles vivantes à son balcon, nous n’aurions pas la pile électrique ; si des expériences innombrables n’avaient établi le rôle de l’agent électrique sur les nerfs et sur les muscles, nous n’aurions aucun moyen pour guérir les paralysies, les atrophies, et ce merveilleux agent médicateur serait banni de toute la pratique médicale. Nous ne pourrions posséder, en fait de médicamens, que quelques simples, et il faudrait les employer empiriquement, sans qu’il fût permis de se faire une idée nette de leurs dangers ou de leurs avantages. Nous n’aurions ni le chloral, ni les injections de morphine, ni le bromure de potassium. Il faudrait en être réduit à prescrire des décoctions de quinquina, ou cette vieille thériaque, dans laquelle on faisait entrer jusqu’à deux cents plantes de propriétés diverses.

Peut-être le nombre de ceux que la médecine moderne, appuyée sur l’expérimentation, a pu guérir, n’est-il pas très grand ; mais certes le nombre de ceux qu’elfe a soulagés est immense. Si elle n’a pas su guérir la maladie, au moins elle a su empêcher la douleur. Qu’importent alors quelques douleurs d’animaux si à plusieurs milliers d’hommes nous avons épargné des souffrances ! Ne nous indignons pas que, dans les trente laboratoires de physiologie disséminés dans le monde entier, on sacrifie un chien par jour : ces trente chiens qui souffrent ne compensent pas les milliers de douleurs que dans le monde civilisé en un seul jour la médecine abrège ou diminue.