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homériques auxquelles chacun d’eux avait dû s’astreindre dans son arrondissement. L’arbre, comme on sait, empêche de voir la forêt ; de même aussi les clochers des petites villes et villages peuvent empêcher de voir l’univers. La colère ne raisonne pas ; elle est aveugle et brutale ; elle s’est exercée sans mesure et ce sont les congrégations qui ont payé pour les fautes de tout le monde. Depuis lors, le mouvement étant donné, on continue à marcher, comme si les dernières résistances du clergé n’étaient pas brisées, comme si on pouvait aller plus loin sans tomber dans la persécution. Il faudrait pourtant se rendre compte des conséquences d’une politique qui ne risque rien moins, en se prolongeant outre mesure, que de porter un coup terrible à notre influence extérieure. Le bonheur veut que le trône de Saint-Pierre soit occupé en ce moment par un homme d’une rare modération : au milieu des plus grandes violences de notre Culturkampf, il ne nous a donné que des preuves de sympathie et de bon vouloir. Non-seulement il n’a point fulminé contre la suppression des congrégations, mais il n’a même adressé de blâme qu’à ceux qui ont empêché ces congrégations de se soumettre. Il a fait plus. Rompant avec les traditions de son prédécesseur, il a envoyé tour à tour à Paris deux nonces qui se sont séparés ostensiblement des partis monarchiques, et qui ont subi tous les outrages plutôt que de laisser unir la cause de l’église à celle d’une politique quelconque. Parmi les évêques, les seuls qu’il ait soutenus, encouragés, défendus sont des évêques respectueux de la république. Et c’est, qu’on me passe la familiarité de l’expression, lorsque nous avons la chance d’avoir un pareil pape, lorsqu’il nous est si facile de nous entendre avec lui, que nous persévérons dans la guerre religieuse, uniquement pour complaire à tel ou tel député qui a eu à se plaindre de son curé, ou qui se croit la mission d’écraser sous ses votes ce qui reste de l’infâme superstition !

Qu’on y prenne garde, il s’agit ici d’une question capitale. Les derniers événemens qui se sont déroulés sur les bords de la Méditerranée prouvent que nous avons dans cette mer jadis française des rivales puissantes, et prêtes à nous évincer des contrées où jusqu’ici nous dominions sans obstacle. En premier lieu se place l’Italie. L’Italie est jeune, dévorée d’ambition, c’est son droit ; il serait absurde de le lui reprocher. Mais, par le malheur de sa situation géographique, elle entre souvent en conflit d’intérêts avec nous. La campagne de Tunisie a laissé dans son cœur une amertume profonde, si profonde même qu’un jour peut arriver où, poussée par les circonstances, par cette force supérieure à la reconnaissance qui entraîne toutes les nations, même les plus généreuses, même les plus nobles, elle deviendrait fatalement notre adversaire sur le continent aussi