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administre par une caisse spéciale et affecte les locaux et les revenus à des objets déterminés, tels qu’instruction, bienfaisance, etc. Mais il faut considérer que la suppression de la personnalité civile n’équivaut pas autant qu’on se l’imagine quelquefois en France à la suppression même des congrégations et des ordres. Ils peuvent se perpétuer sous le régime du droit commun ; l’association religieuse se forme, comme toute autre association, dans les conditions légales ordinaires. Ceux qui en font partie peuvent, s’il leur plaît, cohabiter sous un supérieur et une règle commune ; seulement ils n’ont plus de propriété collective, ce qui est assurément une dure condition d’existence et un grand obstacle à la perpétuité ; mais ils peuvent acquérir, hériter et posséder sous le nom d’un tiers, soit de l’un d’eux, soit d’un étranger ; c’est à leurs risques et périls. De fait, les congrégations se sont maintenues. Elles continuent de cohabiter et de pratiquer leurs règles, en attendant avec patience de meilleurs jours… L’institution monastique n’a nullement été frappée à mort ; les moines n’ont pas quitté leur habit ni leur règle ; mais il se produit une crise qui, d’une part, élimine peu à peu des congrégations de médiocre vitalité, incapables de s’accommoder aux exigences et aux nécessités de la vie moderne, et qui, de l’autre, rend une vie nouvelle à des ordres plus aptes à l’action, au travail, à la lutte. Entre ces derniers on cite les jésuites, les dominicains et les barnabites… Quant à l’enseignement, le parti libéral italien, jusqu’à présent du moins, n’adopte pas nos préoccupations ni celles des ordonnances de 1828, pas plus qu’il ne partage nos inquiétudes à l’endroit de l’éducation secondaire donnée par les congrégations et par le clergé. Il se contente d’exiger que les établissemens ecclésiastiques se conforment en tout aux règles qui régissent les écoles laïques. Toute autre mesure de défense lui paraît inutile ou inefficace. Il croit avoir des moyens légaux de surveillance, et, au besoin, d’interdiction, qui suffisent à sa sécurité. Il n’est pas préoccupé, comme d’un danger prochain pour les institutions, de l’influence antilibérale ou antinationale que peut avoir l’éducation ecclésiastique sur la jeunesse des classes moyennes. Bref, il ne paraît nullement disposé à entreprendre en Italie une campagne semblable à celle de notre article 7[1]. »

Ainsi les congrégations italiennes, affaiblies dans leur temporel, mais intactes dans leur spirituel, sont placées dans des conditions qui leur permettent d’écraser finalement les nôtres. Elles vivent, elles prospèrent, elles reçoivent de nouveaux membres, elles étendent leur action, au dedans sur l’enseignement, au dehors sur les

  1. Deux Mois de mission en Italie, par Félix Pécaut, pages 11, 12, 25 et 29.