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Celles-ci sont plongées dans la plus complète superstition ; elles sont en retard de plusieurs siècles sur l’Europe ; aucun souffle de scepticisme ne les a encore traversées. Sans doute, dans quelques grands centres, à Smyrae, à Alexandrie, à Beyrouth même, des écoles laïques pourraient vivre ; mais partout ailleurs le vide se ferait immédiatement autour d’elles. Naturellement les congrégations les combattraient avec la plus grande violence, et il serait injuste de le leur reprocher, car la concurrence qu’on viendrait leur faire pour prix de leurs longs services justifierait leurs attaques les plus passionnées. Dans la lutte qu’elles entreprendraient contre leurs rivales, elles seraient bien forcées de s’appuyer sur les puissances catholiques, l’Italie, l’Autriche, qui chaque jour offrent de les protéger. Elles passeraient forcément à l’ennemi, non sans regret sans doute, mais sous la pression d’une nécessité inéluctable.

Ce serait donc une grande faute de chercher à leur enlever l’enseignement primaire et l’enseignement secondaire, qu’elles donnent partout avec un plein succès et dans un esprit très français. On n’y parviendrait pas ; car les musulmans eux-mêmes aiment mieux fréquenter l’école d’un dieu étranger qu’une école sans Dieu. Tout le monde sait qu’ils vénèrent Jésus-Christ, tandis que l’homme sans croyance est un monstre à leurs yeux. Est-ce à dire que l’instruction donnée par les congrégations religieuses réponde à tous les besoins modernes de l’Orient ? Non, sans doute ; elle a des défauts qu’il est impossible de méconnaître. Je ne parle pas de l’instruction primaire : elle est excellente. Les congrégations apprennent admirablement la lecture, l’écriture, le calcul, la géographie élémentaire et les principes de notre langue. A cet égard, il n’y a pas un reproche à leur adresser. Si tout le monde parle le français en Égypte, c’est aux frères de la doctrine chrétienne qu’on le doit ; si on le parle mieux encore en Syrie, c’est aux jésuites, aux lazaristes, aux écoles grecques catholiques et maronites qu’en revient tout le mérite. Mais l’enseignement secondaire tel que le donnent les congrégations prête assurément aux objections. Elles suivent les mêmes programmes qu’en Europe, ou plutôt elles suivent les programmes qu’on abandonne de plus en plus en Europe, parce qu’ils sont en opposition avec les nécessités de la vie contemporaine. Les études dans leurs écoles sont purement classiques, comme si des Syriens, des Arméniens ou des Grecs, qui seront fatalement condamnés au commerce ou à l’industrie, ne pouvaient pas employer les loisirs de leur jeunesse à des exercices plus profitables que la contemplation de l’art et des littératures antiques. Il en résulte qu’en sortant de leurs établissemens, les élèves sont fort dépaysés. Ils feraient pourtant d’excellens fonctionnaires ; mais est-il possible d’entrer dans les administrations turques ? La plupart vont en Égypte, où leur