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parti. Ceux qui, en 1848, quittaient de grands commandemens dont ils étaient fiers sur un ordre du gouvernement provisoire de Paris, ceux qui, pendant vingt ans, ont subi l’exil, les spoliations et les représailles haineuses de l’empire, ne peuvent sans doute être sérieusement accusés d’être des hommes de coups d’état ou de guerre civile. Ils ont fait leurs preuves, et, à ne considérer que ce côté tout pratique des choses, il est certain que leur présence sur le sol français est pour la république elle-même une garantie de plus contre les tentatives impérialistes. Ils n’aideront pas sûrement à refaire l’empire, ils le combattraient sans doute au besoin, et pour le combattre ils n’auraient pas à aller chercher un autre drapeau que celui sous lequel ils ont toujours servi. Par leur caractère, par les habitudes de leur vie par les traditions libérales de leur jeunesse, ils ne peuvent donc être un danger intérieur ; mais il y a une autre raison dont les républicains un peu prévoyans devraient se préoccuper. Ce n’est pas une raison intérieure, c’est une considération extérieure. Pourquoi ne pas dire ce qui est ? La république est légalement établie sans doute ; elle est depuis longtemps reconnue par tous les gouvernemens, et avec quelques-uns elle a des relations faciles qui pourraient devenir cordiales. Elle ne peut cependant se dissimuler qu’elle est toujours l’objet d’une certaine surveillance ou, si l’on veut, d’une certaine attention curieuse de l’Europe, qu’elle inspire parfois des doutes auxquels notre diplomatie est obligée de répondre, et la présence paisible des princes en France était justement jusqu’ici un de ces faits que nos représentans pouvaient invoquer comme la meilleure preuve de l’existence d’un régime régulier. On pouvait, avec quelque habileté, se prévaloir de ce phénomène nouveau d’une grande république continentale ouverte à tout le monde, désavouant toutes les proscriptions et les exclusions, donnant des commandemens à des princes empressés à les accepter. Nous nous sommes même laissé raconter que M. Gambetta, dans les hardiesses un peu confuses de son esprit, n’était pas insensible à cette considération, que sans craindre de se faire traiter d’orléaniste, il avait eu un jour, peut-être une minute, la pensée assez inattendue de proposer à M. le duc d’Aumale d’aller représenter la France au couronnement de l’empereur de Russie. C’est pour le coup qu’il y aurait eu des surprises, et après tout, si cela avait été possible, ce n’est pas la république qui s’en serait plus mal trouvée en Europe.

Eh bien ! c’est cette situation qu’on veut changer en fermant sans façon aux princes le « territoire légal » et le « territoire géographique, » comme on le dit, en revenant par un mouvement de colère aux lois d’exception et de proscription. On ne s’aperçoit pas que cette question des prétendans qui n’existait pas, on la fait revivre tout entière en restituant par la proscription le caractère dynastique à des princes qui ne demandaient qu’à vivre en paix au foyer commun de la patrie.