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poète Voiture, elle s’était fait accompagner de son confesseur, le père Fleury, homme de tact et d’expérience mondaine, et de son secrétaire Desnoyers, qui nota dans un récit intime, inédit et parfois fort piquant tout ce qu’il vit et entendit[1]. De son côté, la maréchale de Guébriant avait eu soin de se munir d’un historiographe en titre, Jean Le Laboureur, qui a laissé du voyage une relation pompeuse et sujette à caution, comme tous les comptes-rendus officiels.

On atteignit promptement la frontière des Pays-Bas. La France et l’Espagne étant en guerre, il avait fallu convenir d’une suspension d’armes pour assurer le libre passage de la reine. Dans un champ près de Cambrai, Marie vit le gouverneur du Hainaut se détacher d’un groupe brillant d’officiers, s’approcher de sa litière, et, mettant un genou en terre, la saluer au nom de sa majesté catholique. Espagnols et Français s’assirent alors autour de tables dressées en plein air et burent à la santé de leurs maîtres respectifs. Impitoyable aux petits, la guerre demeurait courtoise entre gentilshommes. Enfin il fallut donner le signal du départ ; Marie embrassa avec tendresse Mme de Choisy, remercia ceux de ses serviteurs qui la quittaient, puis, se rejetant dans sa litière, sanglota longuement. En présence de ces adieux et de ces larmes, comment ne point songer à cette autre Marie, partie de même un siècle plus tôt pour chercher une couronne loin de la terre où s’étaient écoulées ses premières et ses meilleures années, et qui, regardant fuir à l’horizon le « plaisant pays de France, » exhalait sa peine en plaintes si douces ? Elle aussi, Marie de Gonzague allait rencontrer sur le sol où elle devait régner d’amères épreuves et une étrange fortune ; pour commencer, un piège préparé avec une prévoyante perfidie allait la menacer, dès ses premiers pas en Pologne, d’un destin pire que la mort.

En même temps que la reine, un courrier était sorti de Paris. Comme elle il se dirigeait vers Varsovie, mais avec ordre de brûler les étapes et de courir à bride abattue sur les chemins de l’Allemagne et de la Pologne. Il était porteur d’une lettre adressée au roi Wladislas et écrite par un simple gentilhomme français, le chevalier de Bois-Dauphin. Grâce à son origine et à ses alliances (il était fils de la célèbre Mme de Sablé), Bois-Dauphin avait été admis à Paris dans le cercle des princesses et des dames de haut rang ; il s’y prit d’une sérieuse passion pour Mme de Choisy, favorite attitrée de Marie de Gonzague. Cette dernière, nous ne savons pour quel motif, haïssait le chevalier et mit un acharnement cruel à le ruiner dans l’esprit de Mme de Choisy. Éconduit par sa maîtresse, le jeune homme en

  1. Le récit de Desnoyers est conservé au ministère des affaires étrangères, sous le titre de Mémoires du voyage de la reine de Pologne.