Page:Revue des Deux Mondes - 1883 - tome 55.djvu/645

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

différentes et celles de leurs satellites : visionnaires, imbéciles ou simples curieux. Parmi ces derniers se trouve un homme de science, incrédule et railleur, Edward Ford. Avec une brutalité que justifie l’ensemble de son caractère dont l’usage du monde n’a jamais poli les aspérités, il démasque des mystifications qui le révoltent, et, sans y avoir songé, arrache Égérie au misérable esclavage où sa vie se consume, car Boynton une fois édifié, non pas sur la vanité de ses recherches, mais sur les artifices employés sans scrupule par Mme Le Roy, — rompt son association avec cette intrigante. En même temps, il est forcé de s’apercevoir que sa malheureuse fille a usé toutes ses forces physiques et morales en lui prêtant le secours d’une impressionnabilité nerveuse qu’il continue à considérer comme la plus haute et la plus précieuse des facultés, mais qu’à cause même de cela il faut ménager. La tendresse paternelle l’emporte une fois sur l’impitoyable obstination du magnétiseur. Il permet à Égérie un intervalle de repos après cette crise violente et quitte Boston avec elle. Où iront ces innocens imposteurs ? Ils sont originaires de l’état du Maine, le pays mystique où se réfugia plus d’une sorcière chassée de Salem au temps où s’allumaient contre elles les bûchers des vieux puritains ; mais les extravagances du docteur l’ont brouillé avec les siens. Une série de hasards et de mésaventures le conduit au sein de cette communauté si étrange et si respectable où la croyance dans l’intervention sensible des esprits est gardée avec les traditions d’une hospitalité toute biblique, chez les shakers (trembleurs).

Nous avons eu l’occasion de parler ici des pieux célibataires de Mount-Lebanon trop longuement[1] pour revenir avec M. Howells sur leurs mœurs et leurs pratiques. On se rappelle sans doute que les membres de cette « société unie des croyans dans la seconde venue du Christ » se proclament déjà ressuscites, tant ils ont réussi en effet à échapper au joug du péché ou même des prétendus besoins de la vie. Ces saints, vraiment dignes de leur nom, sont des agronomes émérites et des économistes avisés. Le repos du ciel règne dans leurs villages, sans que les tribunaux, la force armée, ni aucune autorité humaine aient jamais eu besoin d’intervenir, et l’intolérance ne se mêle pas à tant de vertu. Les vagabonds eux-mêmes trouvent un asile chez les trembleurs ; tout étranger, riche ou pauvre, est le bienvenu, à la condition de ne pas troubler l’ordre rigoureusement établi. Sans doute, Boynton inspire quelque méfiance aux anciens, qui considèrent le spiritisme comme un moyen d’arriver à des vertus surnaturelles, non pas comme un but, et qui tiennent en mépris la curiosité oiseuse que provoquent certains

  1. Voyez la Revue du 1er août 1875, les Sociétés communistes en Amérique.