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ballots au ministre de l’intérieur, d’où ils parviennent à la Bibliothèque. De son côté, arrive par une route différente le livre imprimé dans un autre département sans autre mention que « chapitre premier » à la première page. A l’aide de quelles vérifications, après quelles recherches, peut-on rapprocher ces fragmens épars ? Ce n’est là une question ni de temps ni d’attention. Les moyens manquent et les fragmens de volumes risquent de tomber au rebut, parce que la loi a soumis à l’obligation du dépôt le fabricant de la feuille, et non le fabricant du livre, l’imprimeur et non l’éditeur.

De cette erreur du législateur découlent bien d’autres conséquences. Pour être complet, un ouvrage d’art ou de science n’est pas seulement composé de feuilles imprimées : à côté du texte que l’imprimeur dépose, il y a des gravures, des cartes qui forment souvent la partie la plus précieuse du livre. Or, lorsqu’elles sont déposées seules par le graveur, les bureaux de la librairie les joignent aux gravures, aux cartes géographiques, et elles vont à la Bibliothèque se ranger trop souvent au cabinet des estampes ou dans la collection des cartes où elles sont classées indépendamment du texte. Comment éviter ce désordre ? L’imprimeur et le graveur ont accompli chacun séparément l’obligation légale. Alors même qu’ils préviendraient l’administration préfectorale ou les bureaux du ministère de l’intérieur, est-il permis de supposer que leur déclaration permettrait de retrouver toujours les planches à point et de les joindre à l’exemplaire ? Le livre arrive donc incomplet, c’est-à-dire hors de service. Dernièrement, un ouvrage d’un grand prix parvint à la Bibliothèque sans figures. Dépourvu des planches auxquelles se référait le texte, il était inintelligible. Après de vaines recherches au cabinet des estampes, on se rend chez l’éditeur, on lui montre les volumes. Il refuse de les compléter et soutient que les gravures échappaient au dépôt légal. Il était dans son droit, ayant fait graver les planches à Boston, d’où elles étaient venues à Paris chez le brocheur qui les avait réunies à l’ouvrage. Dans un livre français, toute partie imprimée à l’étranger n’entre donc pas au dépôt légal.

Il en est de même pour les planches coloriées. L’imprimeur, graveur ou lithographe a accompli l’obligation à laquelle il est tenu en déposant les figures en noir : pourquoi aller au-delà de ce que prescrit la loi et donner à l’état plus que le texte ne l’exige ? Vis-à-vis du ministère, ne doit-on pas agir comme vis-à-vis du percepteur ? Est-ce voler que de tromper le fisc ? D’ailleurs, ici on ne trompe personne : on se contente d’exécuter servilement la loi. Il en résulte les conséquences les plus inattendues. Croirait-on qu’un ouvrage sur les pavillons maritimes, dont tout l’intérêt est dans les couleurs du drapeau, est déposé en noir ? Il y a plus. Le Traité des couleurs