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A l’austère devoir pieusement fidèle.
Elle dira, lisant ces vers tout remplis d’elle :
« Quelle est donc cette femme ? » et ne comprendra pas.


Le sentiment est délicat, l’émotion douce, et les deux derniers vers ont de la tournure. La chute certes en est heureuse, mais le reste laisse à désirer ; ce verbe faire, par exemple, répété négligemment trois fois, me gâte les deux quatrains et le premier tercet. A cela près, « le sonnet d’Arvers » serait sans défaut, mais la faute existe ; il y a une paille dans le diamant. On s’est beaucoup demandé quelle était la femme. On a même prononcé deux noms : celui d’une brillante jeune fille mariée depuis et dont l’album eut l’étrenne du morceau ; le second, d’une matrone illustre, dont les deux rimes féminines du tercet final évoquent le petit nom par assonnance ; il n’y manque, en effet, pour le compléter qu’une seule lettre, l’initiale ; je suppose qu’il n’y a rien là qu’un pur hasard, mais « d’un objet aimé tout est cher, » comme dit Figaro, parlant de l’épingle du billet, et dans ces jeux d’esprit et de galanterie, il faut tout ramasser, même la première lettre d’un nom intentionnellement omise. Jeune fille ou matrone, le nom ne fait rien à l’affaire. Est-ce bien sûr d’ailleurs que « la femme » ait jamais existé en dehors de l’imagination du poète, et que nous ne devions point voir en elle un de ces types de fantaisie dont il allait ensuite chercher « la ressemblance » dans ses courses nocturnes à travers le réel ? « Nous passons notre vie, disait Musset, à aimer des femmes que nous n’avons pas et à en posséder d’autres que nous méprisons. » Le sonnet d’Arvers, isolé dans son œuvre, ne vise pas telle ou telle personne de la société ; il vise la femme, être essentiellement réfractaire aux choses de la poésie quand son amour-propre n’y est pas intéressé, et qui ne comprend vos vers et vos hommages que le jour où votre gloire les lui renvoie et que vous avez fait d’elle une Elvire.


H. BLAZE DE BURY.