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N’est-ce point là de l’éloquence dramatique, et Saint-Vallier s’exprime-t-il d’un air plus pathétique dans sa paraphrase ? Il est moins simple, voilà tout, et tue l’émotion sous l’abondance des images et des mots :

O monseigneur le roi, puisqu’ainsi l’on vous nomme,
Croyez-vous qu’un chrétien, un comte, un gentilhomme,
Soit moins décapité, — répondez, monseigneur, —
Quand au lieu de la tête il lui manque l’honneur ?


Sur ce chapitre des rapprochemens on n’en finirait pas. Ainsi, parlant des faveurs empressées des dames de la cour et des honnêtes profits de leurs maris, Arvers dira :

La honte est un métier pour elles, leurs maris
Viennent là, sachant tout, en recevoir le prix.
Alors on les fait ducs et leurs femmes duchesses,
Pour eux sont les honneurs, pour eux sont les richesses,
On leur donne en retour l’ordre de la Toison,
Ou le droit de porter des lis dans leur blason,
Mais à nous qui tenons ces honneurs pour infâmes,
Qui n’avons au logis que l’amour de nos femmes.
Simples et pauvres gens, pourquoi nous le voler ?


Et Victor Hugo, remaniant le motif, s’écriera par la voix de Triboulet en vers frappés de sa vraie marque :

Une femme est un champ qui rapporte, une ferme
Dont le royal loyer se paie à chaque terme,
Ce sont mille faveurs pleuvant on ne sait d’où,
C’est un gouvernement, un collier sur le cou,
Un tas d’accroissemens que sans cesse on augmente !
En est-il parmi vous un seul qui me démente ?
N’est-ce pas que c’est vrai, messeigneurs ? En effet,
Vous lui vendriez tous, si ce n’est déjà fait,
Pour un nom, pour un titre ou toute autre chimère,
Toi, ta femme, Brion ! — toi, ta sœur ! — toi, ta mère !


Mais voici que je m’égare aux citations au lieu d’aborder la pièce, qui vaut pourtant la peine d’être analysée.

La scène s’ouvre chez la belle Ferronnière, au plein de ses amours avec le roi, lui, galant, triomphant, heureux de vivre ; elle, pensive et déjà regrettant sa faute :

Je vais toujours pleurant et m’accusant moi-même
De trahir mes devoirs et cet époux que j’aime.