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que prévoit sa sagesse, jeter dans la balance des événemens sa volonté et la menace de sa retraite.

Quand M. Grévy avait été porté à la présidence, peu d’existences étaient vides de services à l’égal de la sienne. Quelques discours en 1848, deux durant l’assemblée nationale, tous coulés froids dans le même moule classique, un écrit superflu sur le « gouvernement nécessaire » étaient les médiocres fruits de ses veilles. Son nom ne demeurait attaché qu’à une manifestation faite, en 1848, contre la présidence et, en 1875, contre la constitution. Comme certains peuples ont conquis leur unité par leurs défaites, il avait fait sa fortune par deux échecs, et la constitution qu’il n’avait pas votée lui donnait le pouvoir qu’il avait voulu détruire. Pourtant il avait des titres meilleurs. Sa constance à réclamer des élections après le 4 septembre était un gage de son respect pour le droit ; l’égale indifférence qu’il avait témoignée à tous quand il dirigeait les débats des chambres semblait la preuve de son impartialité envers les partis. L’homme enfin, avec la culture de son esprit, l’agrément calme de son entretien, semblait fait pour occuper le pouvoir avec une dignité simple. Tel de ses défauts pouvait même l’y servir ; si sa nonchalance était passée en proverbe, elle devait le tenir éloigné des aventures, des excès, et l’on se flattait de trouver en lui les vertus de l’inertie. Mais pour agir sur les hommes, il faut aimer leur commerce, et c’est à force de les étudier qu’on se rend habile à les conduire. M. Grévy, loin de les attirer, a porté à la présidence la solitude de sa vie, heureux d’être monté assez haut pour devenir inaccessible. Quelle aptitude est d’ailleurs celle d’un politique élevé à l’école de la théorie et de l’opposition ? Étranger aux affaires extérieures, lassé d’avance de celles qu’il connaît, il n’a jamais résisté à une faute : nul intérêt ne vaut la fatigue d’une lutte. Et comme les hommes excellent à transformer leurs faiblesses en doctrines, il a érigé dès l’abord son indifférence en devoir. Il a établi en principe qu’il était fait pour signer les résolutions des chambres, et mis son courage à contempler les maux du pays sans en paraître ému. Il s’est retiré des affaires publiques dans le premier poste de l’état.

Le troisième pouvoir, à juger par l’apparence, vit des mêmes passions que les deux premiers, et tempère les ardeurs de l’un par la nonchalance de l’autre. L’activité lui manque pour pousser au mal, mais aussi pour l’empêcher, et, quand il parle, c’est la voix de la chambre qu’on entend encore, fidèle et adoucie comme un écho. Quelques sénateurs, il est vrai, pensant qu’une vie de dévoûment à la république leur enlevait le droit de se taire, n’ont incliné devant le triomphe d’aucune erreur la rectitude de leur conscience ; ils ont rappelé la démonstration répétée depuis Aristide par les