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défend que le bien public : il sent sa supériorité. Aussi, en même temps qu’il presse la solution des affaires anciennes et introduit les nouvelles, il s’informe des sommes disponibles, des libéralités encore suspendues et songe aux moyens d’en attirer une part sur son collège ; il tient à jour sa connaissance des vacances produites et des mutations projetées dans les divers services, et combine des mouvemens où trouve place sa clientèle. Qui veut suffire à un tel travail se montre plus assidu dans les bureaux des ministères que dans ceux de la chambre. Les séances sont le seul moment ménagé aux employés pour leur travail et au député pour son repos. Rarement quelque conflit d’ambitions, plus rarement un orateur capable de donner une voix aux passions dominantes animent d’un intérêt fugitif le jeu de la tribune. Seule l’opposition apporte quelque imprévu dans un ordre si bien réglé, et il arrive qu’on l’écoute par tolérance et pour lui prouver ce que valent des argumens contre une majorité. Mais d’ordinaire il n’est pas nécessaire d’entendre ce qu’on est résolu à voter. La salle est désertée pour les couloirs, le seul refuge où l’on se délasse à apprendre des nouvelles, à en faire, parfois à dire la vérité, et à juger à l’abri du public la pièce, les acteurs et soi-même. Mais là même on porte son joug : les électeurs ont failli attendre. Ne faut-il pas informer les fonctionnaires de ce qu’on exige, les maires, les particuliers de ce qu’on exécute, écrire pour soutenir le zèle, écrire pour donner patience, écrire pour bien montrer la difficulté d’obtenir la veille du jour où l’on écrira pour annoncer le succès ? Et tandis que les affaires s’engagent, que les budgets s’amassent, le député écrit jusque dans la salle des séances, où il peut lever pour le vote une main armée de sa plume, et suffire à une double tâche que la clôture interrompt, mais n’achève pas. Le soir ne reste-t-il pas avec les réceptions et les dîners officiels ? Pour peu que le député s’y montre fidèle, il jouera de malheur s’il ne joint quelqu’un des ministres ou de leurs subordonnés et ne profite de la rencontre pour obtenir quelque chose. Chemins pour sa circonscription, monumens pour sa ville capitale, secours pour ses écoles, tableaux pour ses musées, livres pour les bibliothèques, il accepte tout et fait popularité de tout sans mépriser les petits profits. Et s’il a obtenu une somme importante pour un objet contestable, ou poussé à un poste en vue un candidat dépourvu de mérite, il a prouvé l’étendue #de son crédit et répète avec Titus : « Je n’ai pas perdu ma journée. »

Dans une journée si pleine, où est le loisir pour le travail, les lectures et, ce qui est plus nécessaire encore, la retraite ? Le moyen de former des pensées et de préparer des paroles dignes d’un grand