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La gravité des circonstances avait paru à certaines heures réclamer plus encore : une force solide, sûre et discrète, capable de porter partout avec discipline une impulsion bien réglée, et peut-être de grouper subitement, sur un point donné contre une entreprise imprévue, une résistance matérielle. Pour lutter contre le gouvernement, il fallait à l’opposition des fonctionnaires et des troupes ; elle les trouva. Les sociétés ouvrières avaient mis à son service, dans les grandes villes, leurs masses toujours mécontentes et facilement prêtes à l’action ; dans le pays entier, deux grandes sociétés, la ligue de l’enseignement et la franc-maçonnerie, leur activité bruyante et leurs forces occultes. Un certain nombre d’hommes vigoureux et des associations puissantes avaient formé dans toute cette période le gouvernement de l’opinion. C’est lui qui avait donné aux législateurs leurs sièges, c’est lui qui allait leur dicter leur politique.

L’ardeur du tempérament n’accompagne pas d’ordinaire la modération des idées. Les volontaires qui s’étaient jetés dans la lutte s’étaient recrutés presque tous parmi des hommes absolus de doctrines et de passions, enclins à confondre les unes avec les autres. Plusieurs, qu’on croyait seulement ennemis de la royauté, l’étaient de la société elle-même. Ils annonçaient ce goût de destructions subites et de réformes lointaines qui est le caractère de la démagogie ; la plupart d’ailleurs étrangers à toute étude des affaires et plus accessibles par là aux solutions radicales, car l’audace des négations séduit toujours l’ignorance. Dans cet ordre social qui leur était suspect, leur haine désignait les victimes plus prochaines. C’étaient eux qui, dans la lutte, avaient reçu les coups ; quiconque les avait frappés, préfets, fonctionnaires, juges, devait être frappé à son tour ; châtiment nécessaire à la fois pour assurer aux victimes réparation, vengeance et crédit. Voilà quels vœux on entendait dans la France, voilà comment furent imposées à la chambre et l’amnistie, et les épurations de fonctionnaires, et la guerre contre la magistrature. Les associations, dans lesquelles ces meneurs figuraient en grand nombre, approuvant à leur tour cette politique, y ajoutèrent son dernier et principal trait. Sans doute, c’était assez des vieilles préventions du parti républicain contre le clergé, c’était assez des fautes récentes qui avaient rajeuni ces préjugés pour donner à la victoire de la république l’apparence d’un échec pour l’église et expliquer quelques représailles ; ce n’était pas assez pour faire de la guerre religieuse cette œuvre froidement ordonnée, toujours poursuivie, qui renaît sans motif et se perpétue sans se lasser. Mais les deux puissances dont la république avait eu l’alliance, la ligue de l’enseignement et la franc-maçonnerie, avaient droit à leur part de victoire. L’une et l’autre avaient pour but la destruction de l’église ; l’une et l’autre ne pouvaient recruter