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va sans dire, d’abandonner à la grande Allemagne les sept millions de Germains qu’elle détient encore.

2e étape. — L’empire des Hapsbourg, s’épuisant vainement à maintenir dans une cohésion factice ses peuples ethniquement et linguistiquement séparés et rivaux, sinon hostiles, ne réussit dans cette tâche qu’avec l’appui de l’empire des Hohenzollern et sert, en échange, de véhicule et de champ de germanisation à la culture allemande.

Puis, quand cette germanisation aura fait assez de progrès, quand l’empereur d’Autriche, devenu à son tour l’homme malade, ne gouvernera plus que des Magyars, des Roumains ou des Slaves teutonisés, la presqu’île des Balkans tombera comme un fruit mûr aux mains du Gargantua de Berlin, qui pourra tranquillement alors quitter les tristes bords de la Sprée et transporter sa capitale sur les rives plantureuses de la belle Donau, sinon sur les eaux bleues de la mer Egée. Drang nach Osten !

Tel est le plan pour l’exécution duquel le prince de Bismarck trouve des auxiliaires plus dévoués à Vienne même qu’à Berlin, car, à Berlin, il règne encore un certain particularisme ; on y trouve toujours des Prussiens comme il y a des Bavarois à Munich et des Wurtembergeois à Stuttgart, tandis qu’à Vienne, noyé au milieu des Slaves et des Magyars, il n’y a que des Allemands, des Grands Allemands, comme on dit là-bas, et leurs journaux, tous aux mains des juifs, ont même le tort de trop laisser voir le but vers lequel ils tendent et les chances qu’ils peuvent avoir de réussir.

Hélas ! il faut bien le dire, ces chances sont sérieuses.

Une nation, ethnographiquement et historiquement unifiée, n’a pas besoin de remplir une mission spéciale pour avoir le droit de vivre ; il n’en est pas de même d’un amalgame de peuples qui n’existe, comme l’Austro-Hongrie, que par une fiction politique, et il n’a sa raison d’être que s’il a une œuvre internationale à accomplir. Or l’Autriche, dans les limites qu’elle a encore à peu de chose près aujourd’hui, avait pour de voir de défendre la chrétienté contre les Turcs ; c’est pour cela que les Slaves et les Hongrois s’étaient donnés à elle au XVIe siècle après la désastreuse bataille de Mohacz. Depuis que cette mission a pris fin par la décadence de la puissance expansive de l’islam en Europe, la maison de Hapsbourg avait assumé la tâche de diriger ce monstre à vingt têtes qu’on appelait le saint-empire romain germanique, et le groupement d’états qui lui appartenaient en propre, à titre héréditaire, était nécessaire pour maintenir en équilibre ce grand corps vermoulu ; mais aujourd’hui que cet équilibre est rompu, que le saint-empire romain est allé, mort, rejoindre les choses mortes dans les catacombes de l’histoire