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pour qu’on ne crût pas qu’elle manquait de courage. Puis, elle brisa un carreau de vitres, hacha ses cheveux qui étaient blonds et beaux et pria quelqu’un de les remettre à ses enfans. On assure que lorsqu’elle fut assise dans la charrette qui la conduisait à la guillotine, la princesse dit à la foule qui se précipitait pour la contempler : « Vous venez me voir mourir? Il fallait venir nie voir juger. » Trente heures plus tard éclatait la réaction du 9 thermidor qui l’eût sauvée. La princesse de Grimaldi était fille du maréchal de Stainville.

Un décret de la convention rendu le 25 février 1793 avait annexé la principauté au département des Alpes-Maritimes. Sous l’empire, les choses restèrent dans l’état, mais après Waterloo, la principauté rentra dans ses droits et continua ses anciens rapports avec la France.

Au commencement des cent jours, un incident bien amusant se produisit. Le prince Honoré se rendait en chaise de poste de Paris à Monaco pour reprendre possession des états de son père lorsqu’en arrivant devant l’auberge du golfe Jouan, il fut surpris de voir sur la route poudreuse un mouvement considérable d’uniformes et de drapeaux... C’était Napoléon qui revenait de l’ile d’Elbe! Son étonnement devint plus que de la terreur, quand une escouade de grenadiers le conduisit devant l’empereur. Celui-ci reconnut le prince tout de suite, lui demanda où il allait, et ne pouvant obtenir une réponse bien distincte, il ajouta brusquement : « Moi, je vais à Paris, voulez-vous m’accompagner? » Le prince continua à balbutier. Napoléon se mit à rire et lui dit : « Allons, allons, Monaco, vous êtes toujours le même... » Après quoi il lui tourna le dos et ne s’occupa plus de lui.

Ce prince était le fils aîné d’Honoré IV, le souverain régnant d’alors. Il administra l’état de Monaco jusqu’à la mort de son père en 1819 et il régna ensuite vingt et un ans sous le nom d’Honoré V. Ce fut certainement un des plus tristes protégés des puissances alliées, et l’on sait s’il y en avait dans le nombre de peu dignes. En vertu du traité de Paris, Monaco qui, pendant les cent jours, avait été gardé par les Anglais, repassa sous le protectorat du roi de Sardaigne. Rien de plus logique : la Sardaigne étant rentrée en possession du comté de Nice, Monaco devenait une enclave du territoire sarde.

Passer du protectorat de la France à celui de la maison de Savoie n’était pas chose nouvelle pour les Grimaldi, et il n’y avait, certes, pour ces derniers rien d’humiliant à cela. Mais ce qui leur devenait singulièrement déplaisant, c’était de ne plus avoir leur part dans les beaux écus d’or des rois de France, de voir s’évanouir à jamais