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classiques indistinctement, d’une sotte haine, fut de sauter pour ainsi dire jusque par-dessus le XVIIe siècle, et de nous reporter jusqu’à l’époque du pire désordre peut-être et de la plus grande confusion de la langue. Si l’on ne déclara pas en propres termes, on pensa, dans le cénacle, que Racine écrivait mal en comparaison de Du Bartas, et que Corneille lui-même, quoique emphatique souvent, et parfois même un peu bas, n’était vraiment qu’un écolier en comparaison des Baïf et des Jodelle. Ainsi fut perdu le bénéfice de l’épuration que la langue avait subie, sous des influences diverses, au commencement du XVIIe siècle, et que peut-être il est permis de dire que nous n’avons pas encore recouvré... Je ne fais qu’indiquer ici le développement. Toute question relative à l’état d’une langue, dans un temps quelconque de son histoire, exige un trop encombrant appareil pour qu’on puisse la traiter en passant.

Il sera plus court de montrer que le romantisme s’est mépris, de la même manière, sur la réformation, nécessaire elle aussi, cependant, du théâtre tragique. Une simple question y suffit. Où est le drame, — synthèse à la fois de la comédie de Molière et de la tragédie de Racine, — où est le drame que les Préfaces romantiques nous avaient si solennellement promis? Est-ce le Roi s’amuse? Est-ce les Burgraves peut-être? Est-ce Henri III et sa Cour? Est-ce Christine, ou Stockholm, Fontainebleau et Rome? Mais la vérité, c’est que si les romantiques ont compris que le temps était passé de la tragédie de Corneille et de Racine, ils n’ont pas compris que le temps était encore plus passé, si je puis dire, du drame de Shakspeare et de Lope de Vega. « Le Cid entrait dans la voie vraie, dans la voie moderne, dit M. Deschanel, celle du drame, sous le nom de tragi-comédie. » Je lui demanderai donc ce qu’il estime que l’on ait rencontré dans cette voie, depuis tantôt quatre-vingts ans que « la tyrannie absurde des trois unités » a cessé de régner sur le théâtre français, et d’y entraver la liberté des Alexandre Dumas et des Victor Hugo. Car je considère que des deux poètes que je nomme, le premier, Dumas, n’avait pas à un moindre degré que Racine lui-même l’instinct des situations dramatiques, et si j’ajoute que le second, Hugo, n’est pas moins poète que Corneille, M. Deschanel, sans doute, ne m’en démentira pas. Ne serait-ce donc pas tout simplement que cette forme du drame, pas plus au XIXe siècle qu’au XVIIe, ne convient à l’esprit national? Ce qui s’est passé en Angleterre, lorsque Dryden et Addison ont essayé d’acclimater la tragédie française dans la patrie de Shakspeare, s’est passé chez nous quand on a essayé d’accommoder au tempérament français le drame de Shakspeare. Il y a quelque chose de vraiment peu philosophique à regretter que Corneille ou Racine n’aient pas été Shakspeare, et rejeter ainsi sur quatre pauvres vieux pédans oubliés