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encore, pour des raisons qui varient selon chaque art et dans chaque littérature, pleinement réalisées, ce temps n’est pas encore. Quand ces conditions s’affaiblissent, et pour ainsi dire se relâchent de la domination qu’elles exerçaient, ce temps n’est plus. Et réciproquement, autant qu’il dure, les œuvres qui naissent comme sous la conjonction de ces trois conditions sont proprement ce que l’on est convenu d’appeler des œuvres classiques. Si la haute valeur personnelle de l’artiste s’y joint, comme dans notre littérature française classique et comme dans la littérature classique allemande, c’est bien, et les œuvres en sont, si l’on veut, plus classiques ; mais elles ne sont pas moins classiques, si, comme dans la littérature anglaise et comme dans la littérature italienne, poètes ou prosateurs y manquent d’une originalité que l’on a eue avant eux et que depuis eux on aura vue revivre.


V.

Le livre de M. Deschanel était une ingénieuse tentative pour établir entre ces trois termes : romantisme, révolution littéraire, classicisme, une relation nouvelle. Nous sommes en mesure de nous prononcer maintenant. Il ne s’agit plus, en effet, que de voir ce que devient la théorie de M. Deschanel quand, dans la définition qu’il nous donne du romantisme, comme dans l’idée qu’il se fait des révolutions littéraires, on remplace le mot générique de classiques par la définition que nous venons d’en donner.

Tout d’abord il apparaît clairement que, si quelques classiques ont été, comme je le crois avec M. Deschanel, de hardis révolutionnaires, Molière et Racine, par exemple, chez nous, ou Goethe et Schiller, en Allemagne, ce n’est ni comme classiques qu’ils ont été révolutionnaires, ni comme révolutionnaires qu’ils nous sont demeurés classiques. Révolutionnaires plus timides, et même quand on ne pourrait décidément leur faire honneur d’aucune réformation ou transformation de leur art, ils n’en seraient pas pour cela moins classiques. C’est ce que prouveraient de nombreux exemples. Dans l’histoire du théâtre français, si quelqu’un répond à l’idée moyenne d’un classique, c’est assurément l’auteur du Légataire universel ou du Joueur, dont on serait, je pense, assez embarrassé de dire la révolution qu’il a faite. Mais, au contraire, beaucoup d’autres, dont chacun à son heure ajouta quelque chose à son art de positivement nouveau, La Chaussée, par exemple, l’inventeur de la « comédie larmoyante, » ou Diderot, l’inventeur de la « tragédie bourgeoise, » ne sont incontestablement pas des classiques. Pareillement, dans l’histoire de la prose française, à qui donnerons-nous le nom de classique,