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pour le chrétien qui aurait frappé l’un d’eux. » — « Les Bosniaques, disait à peu près à la même époque M. Hippolyte Desprez, les Bosniaques se débattent dans l’anarchie la plus douloureuse pour tous, paysans et seigneurs; mais ils sont tellement aveuglés par leurs haines mutuelles et ils croupissent dans un tel état d’ignorance qu’ils sont incapables de comprendre leurs vrais besoins et de se concerter pour en obtenir la satisfaction. Ils n’en sont que plus à craindre peut-être pour le gouvernement, qui est obligé quelquefois de recourir à de grandes expéditions armées pour les pacifier... Le calme, la paix, la sécurité, sont inconnus dans leurs montagnes. Combien de fois, pour le moindre incident de la vie ordinaire, n’a-t-on pas vu toute la population en émoi, arrachée à la charrue, se soulever le fer et le feu à la main pour porter d’un village à l’autre la ruine et la désolation! Aussi le paysan bosniaque est-il voué à la misère la plus profonde... La physionomie du pays porte l’universelle empreinte de la terreur sous le poids de laquelle il gémit. En beaucoup d’endroits, les maisons ressemblent à de petites citadelles sombres et menaçantes; des postes d’observation sont établis quelquefois dans les arbres, le long des chemins. Quiconque ose s’aventurer parmi ces populations sans cesse armées pour attaquer ou se détendre court à chaque instant le risque de payer cher sa témérité... »

C’est sous ce régime que vécurent la Bosnie et l’Herzégovine jusqu’à l’insurrection de 1850. À cette époque, les Slaves musulmans de la Bosnie, blessés des tentatives réitérées de la Porte pour établir dans la province un ordre de choses un peu plus régulier et plus conforme aux idées modernes de souveraineté, de justice et de progrès, et ayant appris, de plus, que le sultan avait résolu d’introduire chez eux les principes généraux du tanzimat ou des nouvelles réformes politiques et administratives dont l’application venait d’être faite dans le reste de l’empire, prirent les armes et se révoltèrent. C’était, en effet, la fin de leur domination et de leur indépendance et la ruine de leurs privilèges. Aussi organisèrent-ils une formidable résistance au corps d’armée qui fut envoyé pour les soumettre et pour faire en même temps rentrer dans le devoir Ali, pacha d’Herzégovine, qui ne tendait à rien moins qu’à se rendre indépendant. Mais Omer-Pacha, qui commandait cette armée, les vainquit et, après une sanglante répression, établit l’autorité absolue du sultan dans tout le pays. La Porte profita de son succès pour anéantir le régime féodal et la puissance des begs et pour introduire dans les deux provinces une administration à peu près régulière et analogue à celle qui était en vigueur dans les autres parties

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  1. Hipp. Desprez, les Peuples de l’Autriche et de la Turquie, Paris, 1850, et Revue des Deux Mondes, 1er juin 1848.