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et de la Macédoine, la tenue franque, cette espèce de compromis entre le vêtement européen et le vêtement oriental, est d’un usage général, ici, au contraire, le vieux costume osmanli a conservé la faveur des habitans, et le fez et le pantalon ne sont guère portés que par les employés venus des autres provinces de l’empire ottoman, qui, aux yeux des vrais croyans bosniaques, sont toujours plus ou moins suspects de tiédeur et de complaisances coupables pour le giaour. Ce costume turc classique se compose, comme on le sait, d’une espèce de veste en étoffe de soie claire rayée, avec manches de couleur voyante, très souvent rouge feu. La jaquette elle-même est quelquefois écarlate, attestant ainsi le goût très prononcé des musulmans de Serajewo pour les couleurs criardes. Le bas du corps flotte dans de larges caleçons le plus souvent verts quand la jaquette est rouge ou blanche, ou vice versa. Ces caleçons finissent, à la façon des guêtres de nos zouaves, par d’étroits fourreaux boutonnés d’où sortent les pieds revêtus de bas blancs et chaussés de pantoufles de cuir jaune pointues; ajoutez le turban classique, généralement en étoffe blanche parsemée de petits points multicolores ou tissée de fils d’or, et vous aurez une reproduction de ce costume que l’on ne voit plus guère, même dans l’Orient européen, que sur les têtes de pipes et chez les marchands d’orviétan. Ce costume a ici un caractère tout à fait national et religieux, aussi était-il absolument obligatoire pour les gens bien pensans, et on a vu dernièrement les membres du gouvernement insurrectionnel décréter le port du caftan, du turban et des caleçons à jambes étranglées sous peine d’être considéré comme un mauvais musulman et traité comme tel. La chaussure elle-même a son importance politique : tandis que le Turc porte des souliers pointus, les grecs mettent des pantoufles à bouts ronds, et les catholiques, pauvres diables en général, chaussent le national opanké des Jougo-slaves.

Ceux des habitans de Serajewo dont l’habillement se rapproche le plus de celui des mahométans sont les tsiganes, qui, au nombre de 1,800 à 2,000, occupent un quartier particulier à l’ouest de la ville. L’habitude de cantonner les diverses confessions religieuses dans des quartiers séparés est, en effet, encore en vigueur à Serajewo. Au centre de la ville et autour du bazar demeurent presque uniquement les chrétiens orientaux et les juifs ; les mahométans habitent surtout dans les rues abruptes qui gravissent les hauteurs du mont Trebevitch ; il en est aussi qui demeurent dans les rues avoisinant le fleuve. Les tsiganes se sont établis à l’entrée ouest de la ville, dans un quartier bâti de pauvres huttes de bois, entourées de jardinets palissades. Ce quartier tsigane se reconnaît de loin au vacarme qui en sort. Accroupis sur de petits tapis fanés