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Ce serait à la fois faire intervenir l’âme comme une substance distincte et ruiner l’argument le plus solide sur lequel repose la conception d’une telle substance, car l’âme ne se conçoit et ne se définit que comme le sujet de tous les faits dont la conscience est un élément nécessaire. Si la définition même de l’âme ne peut se passer de l’idée de conscience, à quel titre l’inconscient pourrait-il entrer dans l’âme?

Il n’y a que les phénomènes corporels où l’inconscient ait sa place légitime. Le corps seul peut être à la fois conscient et inconscient. Il n’exclut pas la conscience puisqu’il est connu par elle, mais il ne la suppose pas nécessairement puisqu’il peut se concevoir sans elle. Il complète donc, pour former notre moi réel, les données de la pure conscience et il les rectifie au besoin; car il comporte également et l’observation intérieure, toujours imparfaite et confuse, et l’observation extérieure, qui seule se prête aux procédés les plus exacts et les plus sûrs des méthodes scientifiques. Aussi les inductions tirées de l’observation extérieure jouent un grand rôle dans la reconnaissance de l’identité personnelle ou individuelle. Elles ne jouent pas un rôle exclusif, car la ressemblance physique la plus parfaite ne suffirait pas pour affirmer l’identité si elle était manifestement contredite par des témoignages de l’ordre moral; mais ces témoignages eux-mêmes sont rarement assez concordans ou assez concluans pour n’avoir pas besoin d’être confirmés par l’examen corporel. Ils réclament cette confirmation quand ils sont altérés par des mensonges; ils la réclament également quand ils sont pervertis par une maladie mentale. M. Alexis Bertrand oppose avec raison les preuves physiques de l’identité personnelle aux faits de double ou de multiple personnalité que l’on a cru observer chez quelques natures et dont on s’est fait un argument contre l’idée naturelle du moi. Ces faits sont loin d’ailleurs d’être établis scientifiquement. M. Ribot reconnaît qu’un seul semble attester un dédoublement absolu de la personnalité. C’est celui que cite M. Taine, d’après l’Américain Mac Nish, d’une dame qui passait alternativement par la conscience de deux existences distinctes, entièrement étrangères l’une à l’autre. Dans tous les autres cas, le nouveau moi garde quelque chose de l’ancien et, par cela seul qu’il sent qu’il n’est plus le même, il a le sentiment au moins partiel de son identité. Le cas isolé qu’a fait connaître Mac Nish n’aurait peut-être pas fait exception s’il avait été constaté par deux ou plusieurs observateurs dont les témoignages se seraient complétés ou contrôlés. A plus forte raison, quand M. Paulhan trouve à l’état normal plusieurs personnes dans un même moi, il ne faut pas prendre ses distinctions dans un sens absolu, car elles supposent, dans son langage même, un moi unique sentant en lui cette multiplicité de