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pénale. Là on ne peut écarter la responsabilité morale : la peine infligée au nom des lois ne satisfait la conscience publique que si l’acte puni a été volontairement accompli dans une intention mauvaise. En vain dira-t-on que le châtiment, même en l’absence de toute liberté, fera une impression efficace, soit sur le coupable lui-même, auquel il inspirera une crainte salutaire, soit sur les autres, auxquels il servira d’exemple : la conscience saura toujours distinguer entre les moyens d’intimidation, qui peuvent avoir leur effet sur un animal, sur un enfant sans raison, sur un idiot ou un fou, et les moyens de répression qui servent proprement de sanction à la loi pénale et à la loi morale. Cette distinction n’est-elle que le résultat de certaines habitudes d’esprit contractées depuis l’enfance ou reçues par héritage des générations antérieures? Quelles habitudes, personnelles ou héréditaires, auraient eu le pouvoir de créer une telle distinction entre des actes de même nature, soumis également à des déterminations fatales? Si nul acte n’est libre, comment aurait-on conçu, en dehors de cette responsabilité apparente, qui se réduit, pour les êtres privés de raison, à certaines impressions de plaisir ou de peine, d’espérance ou de crainte, la responsabilité proprement dite, telle que l’entendent le droit et la morale, qui a pour condition des volontés libres et dont le degré se mesure sur le degré même de leur liberté? Nous pouvons accorder aux déterministes, avec M. Fouillée, qu’ils peuvent fonder « une science ou un art des mœurs sans un libre arbitre ; » mais cette science ou cet art, qui ne serait pas « une morale d’êtres libres, » ne serait pas la morale de la conscience, car ce n’est pas seulement l’école spiritualiste, c’est la conscience du genre humain qui reconnaît et qui réclame la responsabilité morale fondée sur la liberté.

La responsabilité est le meilleur argument en faveur de la liberté; elle est aussi la plus forte preuve de l’existence de la raison, car elle implique un idéal moral universellement obligatoire. Elle implique ainsi cette intuition de l’universel et de l’idéal, qui est l’objet propre de la raison. La liberté unie à la raison est la base de la responsabilité comme de la personnalité. Aussi la personnalité trouve-t-elle dans la responsabilité son caractère le plus manifeste. L’enfant est déjà une personne, une « petite personne, » comme on dit familièrement, parce que, s’il n’a pas encore la responsabilité légale, il a déjà, au moins en germe, les attributs qui lui conféreront par degrés la responsabilité morale. Le dément reste encore, dans une certaine mesure, une personne, et ce serait un crime de le traiter comme une chose, parce que, si l’on doit lui refuser la responsabilité légale, nul ne peut affirmer jusqu’à quel degré il a perdu ou est incapable de recouvrer toute responsabilité morale. L’adulte sain d’esprit a seul, dans leur plénitude, tous les