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III.

Dans un brillant chapitre de ses Problèmes de morale sociale, M. Caro rappelle cette « loi de continuité » dont Leibniz, après Aristote, a fait la base du système du monde et qui rattache entre eux tous les êtres de la nature par « une suite de nuances et d’intermédiaires entre les extrêmes de chaque série et entre les séries extrêmes de chaque ordre. » Dans cette échelle des êtres, chaque degré, à partir du plus bas, contient en soi tout ce que possèdent les degrés inférieurs et marque en même temps sa place par un attribut qui lui est propre. Le végétal a toutes les qualités du minéral et il a de plus la vie. L’animal joint la conscience individuelle à la vie végétative et aux propriétés générales de la matière. L’homme a tout ce qui constitue l’individualité consciente et active, le moi de l’animal ; mais il s’élève plus haut par la personnalité. Il faut donc à la personne d’autres attributs que ceux qui suffisent à l’individu : ces attributs, suivant M. Caro, se manifestent « dans le grand phénomène qui s’appelle la réflexion ; n’mais la réflexion ne les crée pas; elle ne fait que les mettre en lumière ; elle les reconnaît et les résume dans l’activité libre et raisonnable. « Liberté, raison, voilà bien les deux conditions de la personnalité. Voilà les traits fondamentaux par où la personne s’oppose aux autres êtres. »

En réunissant ainsi, dans sa définition de la personnalité, la liberté et la raison, M. Caro entend, par le nom de liberté, non le simple libre arbitre, tel que nous l’avons reconnu avec M. Delbœuf, chez les animaux eux-mêmes, mais l’activité raisonnable, l’activité transformée par cette lumière supérieure de la raison, « qui s’empare de la force spontanée, la ravit aux impulsions de la nature et la dirige à son gré, dans le sens où il lui plaît, vers le but qu’elle-même a fixé. » En un mot, des deux termes proposés par M. Caro, un seul est à retenir, comme le caractère propre et distinctif de la personne humaine : c’est la raison. La définition classique de l’homme n’est-elle pas en effet animal raisonnable? Cette définition a été développée en termes admirables par Cicéron au début du de Officiis. Après avoir passé en revue les caractères communs à l’homme et à l’animal, il montre l’homme, par la force de la raison, reconnaissant l’enchaînement des causes et des effets,