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qui, « toujours présent, toujours agissant, sans repos ni trêve, ne connaît ni le sommeil, ni la défaillance. » Peu importe: encore qu’on réduise ce sentiment à la perception constante de notre propre corps. Le moi n’existerait pas moins alors même que le corps le contiendrait tout entier. On pourra, rechercher plus tard si l’hypothèse matérialiste répond bien à toutes les conditions d’existence du moi ; ce que nous voulons retenir pour le moment, c’est cet aveu qu’à travers toute la série des faits de conscience un être permanent, que ce soit un corps ou une âme, ou un composé de l’un et, de l’autre, s’apparaît sans cesse à lui-même. En vain, M. Ribot nous dira-t-il, dans le même passage, que « ce sentiment de la vie reste au-dessous de la conscience, » et, qu’il ne fait que « servir de support au moi conscient ; » ce n’est, dans son. langage, qu’une contradiction de plus, car il a lui-même appelé ce sentiment, une « conscience obscure. » Tout obscure qu’elle est, elle existe, et, elle est, chez l’animal et chez l’homme, la forme, primitive et constante de la conscience de soi..


II.

La personnalité ne commence pas avec la conscience de soi ; elle ne commence pas davantage avec l’activité individuelle, qui est partout, dans toute la série animale, la condition essentielle de la conscience.

L’activité du moi a été méconnue par les philosophes qui ont négligé l’observation intérieure pour l’observation extérieure ou pour des conceptions métaphysiques. Le moi individuel et personnel des métaphysiciens n’est le plus souvent que le sujet abstrait de certains groupes de phénomènes. Il pourrait logiquement être supprimé pour faire place à la substance unique de Spinoza, au moi absolu de Fichte, au sujet-objet de Schelling, à l’idée de Hegel. Chez Leibniz lui-même, l’activité attribuée au moi, comme à toutes les monades, n’est qu’une activité tout intérieure, dont les effets ne peuvent avoir un retentissement au dehors qu’en vertu d’une harmonie préalable de toute éternité., La monade suprême agit seule en réalité : « Dieu est un Océan dont nous n’avons reçu que des gouttes. » L’emploi exclusif ou prédominant de l’observation extérieure a conduit les adversaires de toute métaphysique à des conséquences semblables. Considérés du dehors, les faits intérieurs ne paraissent que les suites des faits extérieurs. On ne voit, dans la nature entière, qu’une succession indéfinie de phénomènes liés les uns aux autres par des rapports constans. Ces rapports semblent les seules causes, soit pour les faits physiques, soit