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socle à un temple, à une forteresse ou à un palais. Pratiquez-y une tranchée ; celle-ci vous laissera distinguer tout d’abord dans l’intérieur du massif les lits de brique crue dont il est composé. Ailleurs, il y a des éminences formées de cercueils en terre cuite, empilés les uns au-dessus des autres. Dans les décombres de ces bâtimens, dans les cuves d’argile où tout un mobilier funéraire était rangé avec le mort, que de recherches à tenter, que de découvertes à faire ! Comme l’autre, cette chasse a ses fatigues et même elle a ses dangers ; elle a ses veines bonnes ou mauvaises ; mais elle a ses coups de fortune qui paient en une fois bien des jours d’incertitude et d’efforts trompés.

Ce fut là le genre de chasse que tenta tout d’abord M. de Sarzec. Il a dû commencer par y chercher surtout un remède contre l’ennui ; puis il y a pris un goût très vif. Il n’a pas craint d’y engager une partie de sa fortune personnelle dans un temps où il ne pouvait encore savoir si ses fouilles donneraient jamais des résultats qui le couvrissent de ses dépenses ; mais il a été récompensé de sa hardiesse, il a eu l’honneur d’attacher son nom à l’une des plus notables conquêtes qu’ait faites cette collection nationale du Louvre qui est une de nos gloires les plus précieuses et l’un de nos premiers biens.


II.

M. de Sarzec commença par visiter la Mésopotamie ; il remonta jusqu’à Bagdad ; il alla ensuite voir les ruines qui marquent l’emplacement de Babylone ; puis il redescendit vers le sud, cherchant un site vierge dont la richesse n’eût pas été déflorée par les explorateurs anglais. Pour regagner Bassorah, il traversa la plaine qui s’étend entre le Tigre et l’Euphrate, plaine que coupe un large et profond canal, œuvre des vieux rois. Ce canal, le Chat-el-Haï, qui verse dans l’Euphrate les eaux du Tigre, était autrefois comme le tronc auquel se rattachait tout le système compliqué d’un réseau de moindres canaux qui se ramifiait à l’infini ; des vannes permettaient de retenir ou de lâcher les eaux et d’emplir ainsi des rigoles que l’industrie du cultivateur conduisait dans chaque champ et jusqu’au pied de chaque palmier. Depuis des siècles, si l’artère principale, parcourue par un courant rapide, subsiste encore, les branches latérales se sont desséchées ; les canaux secondaires se sont engorgés et ne reçoivent plus l’eau que dans les temps de crue. La plaine, jadis habitée par une population très dense, couverte de ces forêts de dattiers et de ces moissons qu’Hérodote admirait si fort, s’est changée en un désert aride où l’inondation annuelle laisse des étangs dont les limites indécises et variables se cachent dans d’épais fourrés de tamarix et de joncs, de cyperus et de roseaux gigantesques.