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les détails de cette scène mémorable. Après avoir rappelé tous ses travaux, ses voyages incessans sur terre et sur mer, ses labeurs contre les infidèles et contre les factieux, après avoir demandé pardon à ceux à qui, dans le cours de son long règne, il avait porté préjudice, il se tourna vers son fils qui se tenait debout devant lui et lui dit : « Si les vastes domaines qui vous échoient aujourd’hui vous étaient venus en héritage, il y aurait obligation de votre part à une grande et juste reconnaissance ; combien plus profonde doit être voire gratitude quand ils vous viennent en libre don du vivant de votre père ! Mais quelque grande que soit votre dette, je la considérerai comme acquittée si vous remplissez seulement votre devoir envers vos sujets. Ainsi, régnez sur eux de manière à mériter leur affection et ne blâmez pas ce que je fais en ce moment. Continuez comme vous avez commencé : craignez Dieu, soyez juste, respectez les lois et par-dessus tout chérissez les intérêts de la religion. Puisse alors le Tout-Puissant vous gratifier d’un fils auquel, lorsque vous serez vieux et brisé par la maladie, vous puissiez transmettre votre royaume avec la même bonne volonté que je mets à vous transmettre le mien aujourd’hui. » Charles, tout en larmes, embrassa son fils et « l’on n’entendoit dans toute la salle, dit un témoin de cette scène, que des sanglots et des gémissemens à grand’ peine étouffés. » L’empereur épuisé retomba sur son siège et répéta plusieurs fois en regardant l’assemblée : « Soyez bénis ! soyez bénis ! » Pendant qu’il avait parlé, il avait tenu tout le temps un de ses bras appuyé sur l’épaule du prince d’Orange.

Philippe se trouvait le maître de la plus grande monarchie européenne ; il régnait sur la Castille, l’Aragon, Grenade, sur Naples, sur la Sicile ; il était duc de Milan, souverain de la Franche-Comté et des Pays-Bas, il avait un immense empire colonial ; son autorité était partout absolue, excepté dans les Pays-Bas, dont il avait promis de respecter les vieilles libertés. Philippe sortait de son rôle effacé et faux de roi nominal d’Angleterre ; il était enfin sur un théâtre digne de sa naissance et de son orgueil. Le début de son règne, par une de ces étranges singularités que présente l’histoire, fut une lutte armée contre la papauté. Le duc d’Albe, vice-roi de Naples, fut contraint de faire la guerre à Paul IV, qui, avec l’aide des Français, prétendait chasser les Espagnols de l’Italie. Dès que Henri II eut rompu le traité qu’il avait fait avec Charles-Quint, Philippe se prépara à envahir la France. Il alla en Angleterre, au mois de mars 1557, dans l’unique dessein de décider Marie à joindre les armes de l’Angleterre à celles de l’Espagne. Il y réussit, et après quatre mois de séjour en Angleterre, il retourna dans les Pays-Bas. La bataille de Saint-Quentin parut promettre au monde un digne successeur de