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donner quelques explications nécessaires sur les trois premières. Je ne m’arrêterai pourtant pas sur la question des droits protecteurs, qui est définitivement résolue et jugée. Quelque sacrés que soient les intérêts des producteurs, ceux des consommateurs ne le sont pas moins ; et jamais gouvernement ne saurait assumer chez nous l’impopularité méritée qui s’attacherait à des mesures fiscales dont le premier résultat serait de faire enchérir la vie.

Mais si nos hommes d’état se refusent en principe à surcharger le consommateur, jamais ils n’ont été plus disposés à alléger les prétendues charges du producteur agricole. C’est à ce désir instinctif plutôt que réfléchi qu’il faut attribuer ces sacrifices incessans imposés au budget en vue de compléter ce qu’on est convenu d’appeler l’outillage industriel du pays. On commet cependant une erreur quand on allègue l’infériorité prétendue de cet outillage, quand on oppose, par exemple, aux 30,000 kilomètres de chemins de fer que nous possédons à peine les 150,000 kilomètres de voies analogues existant dans les États-Unis. En pareille circonstance, la comparaison doit porter non sur la population, mais sur l’étendue relative des pays considérés. Les États-Unis ont cinq fois plus de chemins de fer que nous, mais, leur territoire étant douze fois plus étendu que le nôtre, ils sont en moyenne, et partout, beaucoup moins bien desservis que nous ne le sommes nous-mêmes.

Ils comprennent d’ailleurs tout autrement la question. Tandis que nous nous efforçons à grand renfort de milliards d’ajouter tous les ans à l’ensemble de notre réseau quelques centaines de kilomètres de nouveaux tronçons, rompant ses mailles déjà trop étroites, faisant une concurrence inutile et ruineuse aux lignes existantes, les Américains, tout en amortissant leur dette publique au lieu de l’accroître indéfiniment, construisent, il est vrai, de 12,000 à 15,000 kilomètres de nouveaux chemins de fer tous les ans ; mais si l’on étudie leur répartition relative, on reconnaît que les états de l’Est, depuis longtemps peuplés et analogues à nos contrées européennes, n’ont qu’une part très minime dans ce total. La tendance générale est de porter les voies nouvelles sur les états les plus éloignés de l’Atlantique, vastes solitudes qui n’étaient même pas connues de nom il y a quelques années, et qui, comme par enchantement, se peuplent et se couvrent de villes florissantes. C’est ainsi qu’en 1880 on n’a pas construit moins de 1,094 kilomètres de chemins de fer dans le Dakota, 1,060 dans le Texas, 835 dans le Nouveau-Mexique; plus pour chacun de ces états en particulier qu’on n’en ouvre annuellement dans la France entière.

Si les Américains, au bon sens pratique desquels nous aimons à rendre justice, se trouvaient à notre place, il y a donc tout lieu de