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pour le reste du jour. » Il disait vrai et l’étudiant endroit donne raison à la sagacité de l’orateur politique. « C’est surtout, écrit-il, quand je sors du cours de M. Villemain que je suis embrasé du plus beau feu littéraire. Je voudrais lire tout ce qu’il nous cite, tout ce qu’il nous vante. Je voudrais aller chercher moi-même ces impressions qu’il nous dit avoir éprouvées. » (25 mai 1818.) C’est au fond de sa chambre qu’il avait hâte de cacher à la fin de sa journée de droit, ses jouissances et ses émotions littéraires. Non-seulement il rédigeait ses notes, mais il rapportait quelques vieux livres achetés aux étalages du quartier Latin et à l’aide desquels il reprenait à loisir le chemin tracé par le professeur. Il n’aimait pas les bibliothèques publiques, s’y sentait mal à l’aise pour travailler, et préférait la médiocre édition qu’avait pu acheter sa bourse d’étudiant au plus beau volume lu au milieu du fracas des indifférens. Aussi quelle joie quand il trouve un Montesquieu qu’il puisse acheter sans folie ! quel triomphe quand il le rapporte chez lui ! « J’ai acheté aussi les Pensées de Pascal et les Provinciales, tout cela de hasard. Je suis enchanté de ma petite bibliothèque et je me surprends quelquefois en extase devant elle, admirant comme il se peut faire que dans de si petits volumes j’aie tous les premiers génies de Rome et de la France. Je m’amuse à la seule pensée que j’ai là des remèdes éternels contre l’ennui. Dieu merci ! je puis dire qu’il n’approche guère de ma chambre et qu’elle m’est un asile assuré contre ses poursuites. » Ses goûts studieux charmaient et effrayaient à la fois son père. Ne se laissera-t-il pas entraîner ? Les avertissemens, les conseils arrivent de Saintonge ; il écrit pour se défendre : tantôt il a pu se passer de renouveler ses chaussures, parce que l’hiver a été très sec, ou l’habit qu’il croyait vieux s’est trouvé rajeuni. Il fait des miracles pour couvrir ses rayons et il sait métamorphoser en livres sa garde-robe, qui est avec sa faible pension sa seule richesse.

À côté des grands modèles de la langue et de la pensée françaises, le jeune étudiant lisait des ouvrages plus faits pour une imagination de vingt ans. Jean-Jacques exerçait sur lui un puissant attrait. Il n’y allait chercher ni sa politique ni sa morale ; mais on sent qu’il est imprégné des ardeurs généreuses et du style et qu’il est au courant de cet ensemble d’idées dans lesquelles il est si facile de retrouver en germe tout ce qui a été fait depuis un siècle de sublime et de ridicule, de grand aussi bien que d’absurde. À Vizelles, on le sait comme à Paris, et dans les lettres, on le discute, on ose le critiquer, puis on se remet à l’admirer en commun, certain que rien n’échappe, ni un mot ni le sens d’une allusion, même la plus détournée. Quand ses auteurs préférés sont en lutte, il prend feu. Il s’avise un jour que Tacite, suivant