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grappes, adieu toute espérance de voyage ! on ne sortait pas du canton. Aussi avec quelle anxiété chacun suivait les progrès de la récolte !

Le père, devenu, par goût autant que par nécessité, le plus habile de ses vignerons, n’abandonnait pas pour cela les lectures qui étaient le délassement de la génération instruite à laquelle il appartenait. Au cours d’une vie partagée entre l’activité du corps et les réflexions d’un esprit modéré que l’horreur des excès révolutionnaires avait éloigné de la politique, sa famille s’était accrue, un second fils était né ; aux préoccupations de la culture étaient venu se joindre chez le père les soucis de l’éducation.

Il avait une sœur qui habitait Sanjon : c’est à elle qu’il confia son fils aîné, Jules. L’enfant avait à peine cinq ans lorsqu’il quitta pour la première fois ses parens. Sa tante l’envoya à l’école et elle suivit avec une attention maternelle sa première instruction. Le petit écolier de Saujon, devenu vieux, n’avait jamais oublié les soins de cette tante si pieuse et si dévouée ; il parlait avec attendrissement de ses bontés, de sa surveillance intelligente et douce, et d’une indulgence qu’il avait plus d’une fois mise à l’épreuve. Dès qu’il avait su lire, cette occupation avait absorbé ses heures. Afin de n’être pas dérangé, il s’était fait une cachette dans un coin du grenier où il avait découvert des livres et de vieux papiers. C’est là qu’on l’a trouvé plus d’une fois, après de longues recherches, oubliant de manger, perdu dans des lectures sans fin et cherchant à comprendre. Ces singulières distractions ne le détournaient pas de l’école, où ses progrès furent si rapides que le maître dut déclarer qu’il ne pouvait plus rien lui enseigner. On fut forcé de chercher dans le pays un instituteur plus savant. Au bout d’un ou deux ans, l’enfant étant le plus avancé de la pension, le maître imagina de tirer parti d’un élève exceptionnel. Il le chargeait, malgré ses onze ans, de faire la classe à ses camarades, tandis qu’il allait se reposer et se distraire dans la ville voisine. Ce genre d’études pouvait être fort honorable pour l’écolier ; le père ne le trouva pas satisfaisant ; il craignait (non sans raison) que le pédagogue improvisé, qui avait conservé la turbulence d’un enfant, ne terminât trop souvent la classe en organisant des jeux ou des batailles : il le reprit avec lui.

On était en 1810 ; Jules Dufaure allait atteindre sa douzième année. À une intelligence aussi développée un aliment était nécessaire : il fallait prendre un grand parti. Les lycées et les collèges de l’Ouest étaient médiocres, ceux de Paris, trop chers et trop loin ; M. Dufaure jeta les yeux sur le collège de Vendôme.

Vers la fin du directoire, des oratoriens, dispersés par la tourmente, s’étaient rassemblés à Vendôme, dans les bâtimens de l’ancien collège royal pour y renouer, sous l’habit séculier, les traditions